« Soigner tout le monde, c’est la loi ! »

Le 4 avril, la Commission paritaire mixte a voté la « version Sénat » du texte restreignant le droit au séjour pour raisons médicales. La réaction d’Arnaud Veïsse, directeur général du Comité médical pour les exilés.

Ingrid Merckx  • 12 mai 2011 abonné·es

**Politis : Comment comprendre le vote par la Commission mixte paritaire d’une loi restreignant le droit au séjour pour les étrangers malades ?

Arnaud Veïsse :** Le gouvernement voulait absolument prendre une mesure symbolique contre l’accès aux soins des étrangers malades. C’est dangereux, inutile, coûteux, et va créer énormément de trafics dans les tribunaux. Douze organisations de médecins ont été reçues à Matignon la semaine dernière pour expliquer combien tout cela était irrationnel. Le conseiller de François Fillon nous a dit de faire confiance aux juges… C’est dire que cette loi est tellement inapplicable que tout va se régler au tribunal.

Qui va décider du sort des étrangers malades ?

La disposition selon laquelle un étranger malade ne pourra séjourner en France qu’en l’absence « effective » de traitement dans son pays d’origine dépend de l’avis du médecin de l’Agence régionale de santé (ARS), lequel est protégé par le secret médical. Demain – comme hier –, c’est lui qui décidera si les conditions médicales sont remplies. Si les préfets décident de ne plus suivre leur avis, il y aura des recours. La responsabilité reviendra alors aux juges.

L’autre disposition stipule que, sous réserve de circonstances humanitaires exceptionnelles, le préfet peut décider d’une régularisation, mais sur avis du directeur général de l’ARS et non plus du médecin. Cela implique la violation organisée du secret médical : les étrangers contraints de faire valoir des « circonstances exceptionnelles » seront dans l’obligation de délivrer leurs informations médicales au préfet.

Médecins et juges vont-ils faire l’objet de pressions supplémentaires ?

Cette loi va accroître les pressions, le nombre d’affaires, la difficulté du travail et l’arbitraire général. Comme tous les médecins, ceux des ARS sont tenus d’appliquer le code de déontologie médicale, selon lequel ils doivent garantir la continuité des soins et estimer le risque en cas de rupture de soins. C’est de leur devoir de dire : « Non, le traitement sera absent puisque les gens ne pourront pas y accéder. » Au Comede, on mesure les réponses des préfectures et des magistrats concernant les demandes de cartes de séjour pour raisons médicales. Jusqu’alors, quand vous alliez au tribunal pour réclamer un droit au séjour pour raisons médicales, c’était une chance sur deux. Qu’en sera-t-il désormais ?

La nouvelle loi s’oppose-t-elle au code de déontologie médicale ?

Le code de déontologie médicale, c’est aussi la loi ! Il servait de garde-fou contre les pressions que les préfectures faisaient déjà subir aux médecins. Car, pour ceux-ci, appliquer la loi, c’était donner des avis favorables lorsqu’ils estimaient que la personne ne pouvait pas se soigner dans son pays d’origine. Cette obligation-là reste d’un point de vue déontologique, mais la nouvelle loi ouvre la porte à toutes les inter­prétations : pour certains médecins, la seule « existence » du traitement dans le pays suffira. Hier, ceux qui s’asseyaient sur la déontologie étaient sanctionnés. Demain, ce sera moins le cas. Tout va dépendre de la capacité des individus à résister aux pressions.

Comment les médecins s’y prennent-ils pour notifier l’« absence de traitement » ?

Un certain nombre d’indicateurs entrent en ligne de compte… En fait, la question n’est pas de savoir si le traitement existe, mais si le patient peut y avoir accès et comment. Ce qu’on tente d’apprécier, ce sont les risques : accès aux structures sanitaires, ressources financières suffisantes, continuité dans les soins, rupture dans l’approvisionnement du traitement, etc. Les risques sont d’autant plus importants que la pathologie est grave. Dans de nombreux pays en développement, il y a un peu de traitements. Exemple : si un traitement pour le diabète existe, sous quelle forme et en quelle ­quantité ? Il peut suffire pour soigner un diabète traité avec un comprimé par jour et un régime alimentaire, mais pas pour un diabète qui nécessite quatre injections d’insuline par jour, sous peine de complications telles que perdre la vue.

Quelles conséquences directes redouter pour les 28 000 patients concernés ?

Même à droit inchangé, l’application de la loi est extrêmement dépendante du contexte politique. C’était inimaginable que la loi soit modifiée dans ce sens. Et pourtant elle est passée, en dépit des rappels à l’ordre successifs de l’ensemble de la communauté médicale, des associations, des sociétés savantes, etc. On peut donc tout craindre… La loi donne la possibilité aux préfectures de renvoyer mourir dans leur pays d’origine des patients qui vivaient jusqu’alors grâce à des traitements prescrits en France. Vont-elles le faire ? Ce qui est sûr, c’est que des personnes très malades vont rester en France en ayant perdu leur carte de séjour. Cela va créer des drames : retard d’accès aux soins, prises en charge en urgence, surcoûts, etc. Ensuite, la proportion dépendra de l’opinion. Si on commence à remplir des avions avec des malades pour les envoyer mourir ailleurs, on peut penser que cela va toucher largement…

Douze organisations médicales ont annoncé qu’elles soigneraient malgré tout. Qu’est-ce que cela signifie ?

Certains médias ont commenté un communiqué signé par douze organisations, dont le Comede, en évoquant un « appel à la désobéissance ». C’est une erreur : ces organisations annoncent qu’elles continueront à soigner tout le monde. Le gouvernement veut expulser des étrangers malades ; si les médecins veulent continuer à les soigner, ce n’est pas de la désobéissance, au contraire ! C’est l’application de la déontologie médicale ! Ce communiqué est un rappel à l’éthique et à la déontologie. Normalement, c’est le refus de soins qui doit être sanctionné.

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