« Un système plus punitif sur les crimes sexuels »

L’évolution de la société américaine a rendu l’appareil judiciaire de plus en plus dur. Entretien avec Abigail Saguy, de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA).

Alexis Buisson  • 26 mai 2011 abonné·es

Politis : Les crimes sexuels sont-ils moins acceptés aux États-Unis qu’en France ?

Abigail Saguy :** L’exemple du harcèlement est évocateur. En France, il est défini comme un délit, en bas de la hiérarchie des violences sexuelles après le viol, les agressions sexuelles, puis l’exhibitionnisme. Aux États-Unis, le harcèlement est considéré comme un type de discrimination. Il ne se trouve pas dans l’équivalent américain du droit pénal, mais le harcèlement au travail est puni par un ensemble de lois civiles qui visent l’employeur. Il s’agit, à travers des obligations de versements de dommages punitifs et compensatoires très lourds, d’inciter l’employeur à créer un environnement de travail non-discriminant.

L’affaire Strauss-Kahn concerne une tentative de viol. Les lois sont similaires dans les deux pays, mais il me semble que les viols sont pris plus au sérieux aux États-Unis. Des personnes impliquées dans des associations contre les violences envers les femmes m’ont dit qu’elles étaient frustrées par la difficulté de faire condamner un violeur en France.

Au-delà des crimes sexuels, le système pénal américain est plus punitif dans son ensemble. Les peines sont plus lourdes et plus longues. On voit que la justice américaine s’est durcie à travers l’exemple de l’instauration du système des « three strikes » , une règle qui autorise la cour à prononcer des peines plus lourdes si l’accusé a déjà subi trois condamnations ou plus à des moments distincts.

Pour les violences spécifiques envers les femmes, la prise de conscience américaine remonte aux années 1970-1980, au moment de la montée en puissance des mouvements féministes et des femmes juristes. Les femmes ont investi les facultés de droit américaines à ce moment-là. Cela ne s’est pas produit en France.


Comment expliquez-vous que le système judiciaire américain
soit, dans son ensemble, plus dur ?

Cela tient en partie à l’histoire politique américaine. James Marone (auteur de Hellfire Nation : la politique du péché dans l’histoire américaine) parle d’un courant très punitif à l’encontre des pécheurs dans notre paysage politique. Cette idéologie de la punition est bien ancrée dans la société. Elle est liée à nos racines chrétiennes. À côté de cela, un autre courant s’est développé autour du « gospel ». Il a donné naissance à des mouvements de gauche, de libération. La dureté du système provient aussi de la politique : les électeurs aiment bien entendre leurs dirigeants dire qu’ils luttent contre la criminalité. Sinon, ils ne seraient pas crédibles.


En ce qui concerne le traitement médiatique de la vie intime des personnages publics, comment expliquez-vous la différence d’approche entre la France et les États-Unis ?

La révélation de scandales sexuels est liée à l’évolution du rôle des journalistes dans la société. Avec le Watergate, les journalistes ont pris une place beaucoup plus forte. Ils entretenaient une relation agressive avec le pouvoir. Puis, avec Bill Clinton et le scandale Lewinsky, ils se sont décrédibilisés car ils en ­faisaient trop.

Les journalistes américains ne s’intéressent à la vie privée que lorsque celle-ci a un impact sur la vie publique. Il suffit de prendre l’exemple d’Eliot Spitzer, l’ex-gouverneur de New York, qui avait sollicité des prostituées. Le problème n’était pas qu’il avait eu des relations extraconjugales mais qu’il avait embauché des prostituées, ce qui est illégal et hypocrite alors même qu’il avait promis de lutter contre la prostitution quand il était procureur de New York…

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Le regard américain
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