Vie privée, vie publique : où sont les limites ?

Les médias américains reprochent à leurs collègues français de ne pas s’intéresser assez aux affaires privées des politiques.

Alexis Buisson  • 26 mai 2011 abonné·es

Les médias américains sont-ils plus « matures » que leurs homologues français sur les questions de vie privée des personnages publics ? Les articles sur le rapport de la classe médiatique française à cette question se multiplient dans la presse américaine. Le New York Times a été parmi les premiers à s’interroger sur ce qu’il appelle « un code du silence » des journalistes français. Il cite notamment le cas Mazarine Pingeot ou encore la liaison entre la fille du ministre de la Défense syrien et l’ancien ministre des Affaires étrangères Roland Dumas, telle que rapportée dans le journal par Pierre Haski, le fondateur du site d’information Rue89. Le quotidien affirme que « les Français sont complices en acceptant ces secrets : ils n’aiment pas ce genre de mauvaises révélations qui pourraient déchirer le tissu social » .

Certains journaux s’étonnent de cette attitude française. Les Français ont en effet la réputation d’être plus ouverts sur leur intimité que les Américains. Pourtant, les journalistes hexagonaux ont commencé à évoquer la vie privée des hommes politiques de leur pays beaucoup plus tard que leurs confrères d’outre-Atlantique. Ce n’est réellement que depuis la campagne présidentielle de 2007 et la mise en scène de sa famille par Nicolas Sarkozy que la « pipolisation » des politiques est devenue courante dans la presse de référence. Cependant, les révélations de scandales sexuels restent rares, pour ne pas dire inexistantes.

Le silence a longtemps été la règle aux États-Unis aussi. À la ­naissance de la République à la fin du XVIIIe siècle, la presse émergente a passé sous silence la liaison entre le père fondateur George Washington et une esclave nommée Venus.

Plus récemment, les journalistes ont fermé les yeux sur les maîtresses bien connues de John Fitzgerald Kennedy. Selon Abigail Saguy, professeur de sociologie à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), le scandale politique du Watergate, qui a abouti à la démission du président Nixon en 1974, a changé les mentalités. «Les journalistes sont devenus plus agressifs. Ils ont commencé à s’intéresser aux crimes et aux incivilités sexuelles de leurs dirigeants », souligne-t-elle.

Depuis, les scandales sexuels s’étalent dans la presse. Janvier 1998 : affaire Lewinsky. Octobre 2007 : le journal The National Inquirer révèle la relation extraconjuguale du candidat à la candidature démocrate John Edwards. Mars 2008 : le New York Times publie un article révélant que le gouverneur de l’État de New York, Eliot Spitzer, a sollicité les services de prostituées. Puis, dans la foulée de l’affaire Strauss-Kahn, la presse révèle qu’Arnold Schwarzenegger, ancien gouverneur de Californie, est le père d’un enfant illégitime.

Résultat de lois sur la vie privée plus restrictives en France, le silence reflète aussi un rapport différent au pouvoir politique. Aussi exaspérant que le sensationnalisme médiatique américain puisse paraître aux yeux des Français, certains diront qu’il a l’avantage de n’épargner personne. Pas même les puissants.

Publié dans le dossier
Le regard américain
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