Accusé travail, levez-vous

Dans Prud’hommes, Stéphane Goël a filmé le huis clos des audiences d’un tribunal en Suisse. Un documentaire révélateur de la dureté des conflits sociaux.

Thierry Brun  • 9 juin 2011 abonné·es

L’action de Prud’hommes se déroule en Suisse, à Lausanne, mais aurait pu être filmée en France. Rien n’indique en effet le lieu, l’expression des tensions et des souffrances au travail étant la même. Dès les premières images, on est saisi par le huis clos du tribunal de prud’hommes. Et on suivra les procédures, brèves dans certains cas, d’une dizaine de personnes en conflit avec leur employeur, la plupart du temps en retrait ou absent, représenté par son avocat.


Le premier cas, celui d’un jeune chauffeur dans une entreprise de transport licencié pour ses absences à répétition, peut sembler comique. Il réclame une indemnité pour licenciement abusif et bafouille qu’il est… allergique. L’espace feutré de la salle d’audience, la présence du juge, la pression exercée par l’avocat de son ex-employeur rendent cependant dramatique cette scène banale. La fin du procès est une négociation en coulisse, dans la salle des pas perdus, une comédie humaine dans un monde du travail sans pitié.


Pour la première fois, le rituel des audiences de cette institution méconnue, au rôle social important, est restitué dans un film, donnant au spectateur l’impression d’être face aux protagonistes. Cette intimité révèle un système atypique dont le principe est la conciliation et l’arbitrage. La justice prud’homale traite en France plus de 220 000 affaires nouvelles chaque année. Les conseillers prud’homaux ne sont pas des juges professionnels et sont saisis dans 98 % des cas par des salariés. Leur rôle est parfois thérapeutique, comme on le voit dans ce documentaire, en reconnaissant une parole impossible à exprimer dans l’entreprise.

Le réalisateur, Stéphane Goël, suit les confrontations directes entre employeurs et salariés, sans faire de concessions à la subjectivité qui anime des personnes licenciées du jour au lendemain, soumises au harcèlement, contraintes au burn-out, résistant aux insultes. La manière de filmer varie peu, notamment parce que l’ordre judiciaire a imposé ses conditions. Mais avec un dispositif réduit, deux caméras et des plans fixes, on lit dans ces visages, dans ces gestes, l’inexprimable : la révolte, l’humiliation de réclamer son dû, la peur du patron, des années de boulot réduites à néant, la victoire ou l’abandon à la sortie du tribunal…
 On voit la colère rentrée de cette jeune employée clandestine, originaire de Côte-d’Ivoire : elle réclame 5 400 euros à l’un de ses employeurs, qui ne lui a pas versé son salaire et ignore les lettres de l’inspection du travail. Impuissante, la peur au ventre, elle renoncera à entamer une procédure qui l’obligerait à sortir de la clandestinité. Une autre salariée, chimiste dans une grande entreprise de métallurgie, originaire de Pologne, est licenciée dès son retour de congé maternité. Elle conteste le licenciement, mais l’employeur en a respecté les conditions légales. Elle s’effondre en larmes : « C’est dur, d’être une femme… »

Retour sur le jeune chauffeur, qui sort traumatisé après avoir retiré sa demande d’indemnité pour licenciement abusif au bout de deux audiences. L’affaire s’arrête là, et l’avocat du patron ironise : « C’est pas ça qui va payer mon leasing… ». Institution nécessaire, les prud’hommes ne produisent pas une justice entièrement satisfaisante. Le film de Stéphane Goël montre que, dans la plupart des cas, il en ressort une grande frustration, une douleur.
Thierry Brun

Culture
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