Chercher la sortie 

La lutte contre les déficits publics aggrave la crise en Grèce
et ravive le débat autour de l’avenir de la zone euro. Trois scénarios font débat, mais un seul paraît réaliste.

Thierry Brun  • 23 juin 2011 abonné·es

Faut-il poursuivre la lutte contre les déficits publics, seule politique actuellement menée par l’Union européenne ? Revenir à une monnaie nationale pour se débarrasser de la dette est-il possible ? Réorganiser la dette des pays les plus en difficulté, voire en supprimer une partie, est-il envisageable ? Trois scénarios montrent les échecs patents, les fausses évidences de certaines politiques, mais aussi les pistes de sortie de la crise de la zone euro.



Premier scénario : 
les plans d’austérité


C’est celui que les gouvernements européens ont entériné au mois de mars dans le Pacte pour l’euro afin de contrer la montée des dettes publiques, conséquence de la prise en charge par les États de l’Union européenne des dettes privées qui ont conduit à la crise en 2007 et en 2008. Tous les pays doivent mettre en œuvre des politiques budgétaires réduisant drastiquement leurs déficits publics, ce qui devrait rassurer les marchés financiers. Les pays du Sud de l’Europe, notamment la Grèce, l’Espagne et le Portugal, doivent appliquer les mesures les plus sévères. En contrepartie, l’Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI) ont débloqué des prêts dont les taux d’intérêt sont faibles. Par exemple, un prêt de 110 milliards d’euros a été accordé en 2010 pour permettre à la Grèce (350 milliards d’euros de dettes) de continuer à fonctionner sans se tourner vers des marchés financiers exigeant des taux d’intérêt très élevés.


La Commission européenne et les gouvernements veulent ainsi modifier le traité de Lisbonne pour durcir les politiques antisociales. Accroître la flexibilité du travail, empêcher les hausses de salaire et diminuer les dépenses liées à la protection sociale sont les remèdes prônés par la Commission. Ce sont les catégories sociales les plus défavorisées qui paieront le tribut le plus élevé, tandis que les marchés financiers cherchent à rentabiliser des masses grandissantes de capitaux.


L’économiste Henri Sterdyniak estime que ce programme « nuira à la croissance de la zone euro » et « sera inefficace pour lutter contre la crise financière »  [^2]
. Il ajoute que « les pays du Sud seront confrontés à la perspective d’une longue récession, de coupes claires dans les dépenses sociales, d’une hausse du chômage, et de restrictions salariales pour rattraper la compétitivité de l’Allemagne ». Le risque est grand que les marchés continuent à spéculer, notamment contre la Grèce, le Portugal et l’Espagne, et réclament toujours « des taux d’intérêt élevés pour leur prêter, ce qui obligera ces pays à redoubler de rigueur, au risque de les déstabiliser et d’augmenter les craintes du marché ». Ce scénario est donc jugé peu crédible et « dangereux pour les pays du Sud et pour la construction européenne ».



Deuxième scénario : 
l’éclatement


Certains pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie pourraient renoncer à l’euro tant l’effort exigé est important du point de vue des finances publiques et de la compétitivité. D’autres pays moins en difficulté, comme la France, pourraient être tentés par une sortie de l’euro. Ce scénario est l’objet d’un débat en France au sein de la gauche comme de la droite. Jacques Nikonoff, porte-parole du Mouvement politique d’éducation populaire (M’Pep), ex-président d’Attac, défend l’idée d’une sortie de l’euro pour la France et d’autres pays européens. De même, l’économiste Jacques Sapir estime inévitable un tel scénario pour la Grèce et d’autres pays. L’idée du retour aux monnaies nationales séduit aussi à droite les souverainistes, tel Nicolas Dupont-Aignan, et l’extrême droite, qui a intégré ce scénario dans son programme pour 2012.


Pierre Khalfa, d’Attac France, voit dans cette thèse une « fausse bonne idée ». « Le problème est moins l’euro que la politique de l’euro menée par une Banque centrale européenne hors de tout contrôle démocratique et indifférente à l’emploi, ainsi que le corsetage des politiques publiques par les critères du Pacte de stabilité », explique-t-il. Pour l’économiste Benjamin Coriat, comme pour une majorité d’économistes qui ont rejoint le Manifeste des économistes atterrés [^3]
, c’est « le scénario du pire ». « Si l’on sort de l’euro, cela implique une dépréciation massive des monnaies qui ne sont pas dans l’euro et un gonflement immédiat de la dette. Les pays seraient contraints de se mettre en défaut de paiement d’une partie importante de la dette. On mettrait ainsi en défaut de paiement le système bancaire européen, et on repartirait vers une nouvelle crise financière. Les conséquences sociales seraient ingérables. »



Troisième scénario : 
restructurer la dette


La mise en défaut de paiement d’un État, c’est-à-dire son incapacité à rembourser et à réduire sa dette publique dans des conditions soutenables, est la hantise des marchés financiers et des ultralibéraux, qui agitent le chiffon rouge de la « faillite » de la Grèce et ne veulent pas d’une remise en question de sa dette. L’économiste Dominique Plihon estime cependant « inévitable et souhaitable » une « restructuration des dettes souveraines en Europe ». Et cite les cas de l’Islande et de l’Irlande : « Le Tigre celtique a choisi de soutenir ses banques à 100 % ; résultat, les contribuables doivent payer l’essentiel de la facture de la crise, via un plan de rigueur sans précédent. L’Islande, quant à elle, a décidé de faire payer une partie de la facture aux créanciers des établissements financiers. Elle a par ailleurs dévalué sa monnaie et combattu la fuite des investisseurs en contrôlant les entrées et sorties de capitaux. Aujourd’hui, la petite île arctique semble avoir en partie maîtrisé sa sortie de crise. »


Benjamin Coriat, qui a publié des notes sur l’Islande et l’Irlande [^4], ajoute que seule la restructuration « organisée et étalée dans le temps est capable de sauver la zone euro ». Une restructuration de la dette donne la possibilité d’utiliser plusieurs leviers : une réduction partielle, un allongement de la durée de remboursement et la baisse des taux d’intérêt, sans mettre en péril le système financier international. « Ce n’est pas qu’on veuille conserver en l’état ce système, explique Benjamin Coriat, mais il faut ménager une période de transition qui ­permette de passer à des modes de financement dans lesquels la finance internationale est de plus en plus marginalisée. »

Ce scénario est défendu par un grand nombre d’économistes opposés aux plans d’austérité prônés par l’Union européenne. Pour eux, il faut monétiser une partie de la dette : la Banque centrale européenne devrait acheter une partie de la dette, ce qui est aujourd’hui exclu du fait de ses statuts. Benjamin Coriat ajoute que les banques centrales grecque, irlandaise, française, etc. devraient être autorisées à émettre des euros. « C’est un moyen de sortir en douceur de la dette publique sans provoquer le chaos, expose-t-il. Cela permet de préserver ce qui existe encore d’atouts sociaux à l’intérieur de l’Europe et, à la sortie de la crise, de rebâtir des systèmes sociaux. » Cela éviterait aussi que les marchés financiers mettent les peuples à genoux.

[^2]: « Crise de la zone euro : les jeux des marchés financiers et l’aveuglement des institutions européennes conduisent à la catastrophe. Il est urgent de changer d’Europe », 
Henri Sterdyniak, note publiée par les économistes atterrées en décembre 2010, www.atterres.org.

[^3]: Philippe Askenazy (CNRS), Thomas Coutrot (conseil scientifique d’Attac), André Orléan (CNRS, EHESS) et Henri Sterdyniak (OFCE) sont les initiateurs du Manifeste d’économistes atterrés, éditions Les liens qui libèrent, 2010.

[^4]: « La crise irlandaise, Emblème et symbole de la finance dérégulée », Benjamin Coriat, note publiée par les économistes atterrés en décembre 2010.

Publié dans le dossier
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