« Compile » de Christian Prigent : Une drôle de voix

Dans Compile , Christian Prigent
expose sa conception de la performance poétique en même temps qu’il la fait entendre.

Christophe Kantcheff  • 9 juin 2011 abonné·es

Début 2010, Jacques Roubaud a publié un article pour témoigner de sa confiance dans la pérennité de la poésie, dans lequel il polémiquait sur ce qu’on nomme les performances poétiques (orales et scéniques), qui, selon lui, risquent d’occulter le véritable lieu de la poésie, c’est-à-dire le livre (voire l’écran), qui « se fait avec les mots » .

Compile , que publie ces jours-ci Christian Prigent, est une forme de réponse à Jacques Roubaud, même si ce recueil ne se réduit pas à cela. En quelques pages, Christian Prigent souligne combien la poésie excède le mot, et rappelle les liens qu’elle entretient avec la voix, le corps, la langue. En outre, ces performances poétiques s’inscrivent, note-t-il, dans une histoire « déjà ancienne, complexe, riche, formellement inventive, intellectuellement documentée, théoriquement pensée » , de Kurt Schwitters, Antonin Artaud, jusqu’à aujourd’hui avec Bernard Heidsieck, Nathalie Quintane ou Charles Pennequin. Auxquels il faut ajouter Christian Prigent, qui, précisément – et c’est là l’objet essentiel de Compile  –, expose ici sa conception de la poésie orale, en même temps qu’il propose de constater « sur pièce », grâce à un CD inclus dans le livre, qui contient sept enregistrements de lectures.

Pour Christian Prigent, la performance suscite « une forme particulière d’apparition » du texte (celui des sept lectures étant reproduit dans Compile, comme un livret). Cet exercice particulier qu’est la lecture met en relief la « trace sonore et rythmique du geste spécifique appelé écriture » . C’est « la voix-de-l’écrit », qui se distingue de la voix organique de l’auteur. Ce faisant, elle cherche à percer le « mur du symbolique, c’est-à-dire le réseau toujours déjà constitué des significations qui représentent pour nous le monde ». Autrement dit : à dépasser les clichés. « Cette traversée , ajoute Prigent, exige une énergie, voire une violence : la violence qu’il faut pour échapper au lieu dit commun et affirmer la singularité d’une écriture. »

C’est pourquoi les lectures auxquelles procède Christian Prigent s’éloignent du naturalisme. Dans les extraits de Grand-Mère Quéquette et Demain, je meurs (POL, 2003 et 2007), Prigent n’interprète pas, mais révèle les forces telluriques qui forment les soubassements de son « phrasé », rythmes et souffles primaires, heurtés, free, musique outrée et incisive à la fois. Dans les lectures à deux voix que le poète partage avec Vanda Benes s’ajoute une dimension ludique, lutine, un esprit pied-de-nez impertinent. N’en déplaise aux (faux) puristes, la ­poésie est aussi un spectacle.

Culture
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