France : le débat s’ouvre enfin

Des personnalités s’élèvent contre une répression absurde des usagers, inefficace et source de délinquance. Une commission parlementaire propose une légalisation contrôlée gérée par l’État.

Olivier Doubre  • 30 juin 2011 abonné·es

Ce sont des données que beaucoup de Français ne connaissent pas, ou mal. Le nombre d’usagers de cannabis (et des autres drogues illicites) continue d’augmenter en France. Ainsi, plus de 9 000 d’entre eux, dont 90 % de consommateurs de cannabis, ont été incarcérés en 2009 (5 241 en 2005) pour « usage simple » ou « usage et détention ». Or, il est difficile de consommer un produit sans faire acte de détention.


Championne en Europe de la politique dite de « tolérance zéro » pour chaque infraction à la loi du 31 décembre 1970 sur les stupéfiants, la France voit le nombre de personnes les ayant testés sans cesse en hausse. Rien que pour le cannabis, drogue considérée comme moins nocive que le tabac ou l’alcool (1), même s’il ne s’agit pas d’en nier les risques, le nombre de consommateurs quotidiens est estimé à plus de 500 000. Les consommateurs réguliers (au moins une fois par mois) seraient plus de 4 millions. Alors qu’en 2005, 12,4 millions de Français y avaient goûté, ils sont au moins un million de plus (13,4 millions) en 2010, selon le nouveau rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanie (OFDT), qui paraît cette semaine. Soit près d’un tiers de la population.


Depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1970, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, les interpellations pour usage sont passées en quarante ans de quelques milliers à plus de 120 000 en 2010 (dont 90 % pour le cannabis), tandis que celles concernant la vente et/ou l’acquisition (le petit trafic), tout comme celles concernant le trafic proprement dit, ont à peine franchi le seuil des 10 000 arrestations. Mieux, contrairement aux condamnations effectives pour usage, celles pour trafic auraient même diminué ces dernières années ! Ce sont donc principalement les consommateurs qui sont poursuivis.


Surtout, une telle politique n’a fait qu’éloigner les consommateurs des structures de soins, sans calmer leurs ardeurs à la consommation. Parallèlement, les scènes  de deal sont de plus en plus nombreuses — et violentes. Le maire de Sevran, Stéphane Gatignon (voir p. 22), a récemment mis en lumière ce phénomène, avec des fusillades entre dealers qui menacent la sécurité des habitants, et s’est déclaré en faveur de la dépénalisation du cannabis, censée selon lui enlever le marché aux trafiquants. Certains lui ont rétorqué que les dealers se reporteront sur d’autres produits, tels que la cocaïne, dont la consommation, elle aussi, explose en France depuis plusieurs années (toujours selon l’OFDT). Sans doute. Mais le marché des drogues dures est bien plus restreint que celui du cannabis…


Ancien ministre de l’Intérieur de Lionel Jospin et élu PS du XVIIIe arrondissement de Paris, où le trafic de stupéfiants est là aussi, et depuis très longtemps, solidement implanté, Daniel Vaillant s’apprête à rendre public le rapport d’une commission de parlementaires arrivée, elle aussi, à la conclusion de l’urgence de changer d’approche en matière d’usage de drogues et de prohibition. Mais elle va plus loin en proposant une légalisation « contrôlée ». L’État aurait la charge de produire (ou de surveiller la qualité) et de commercialiser le cannabis, à travers un système de réglementation proche de celui de l’alcool (interdiction de vente aux mineurs, pour la conduite automobile, etc.). Daniel Vaillant s’appuie sur les récentes conclusions de la Global Commission on Drug Policy de l’ONU (où siégeaient Kofi Annan, des anciens présidents du Mexique, du Brésil, de la Colombie, ou l’ex-secrétaire d’État américain George Shultz…), qui, constatant l’échec de la « guerre à la drogue » engagée dès 1971 par Richard Nixon, prône « d’encourager l’expérimentation des gouvernements avec des modèles de régulation légale des drogues (en particulier le cannabis) afin de réduire le pouvoir de la criminalité organisée et protéger la santé et la sécurité des citoyens ».

Daniel Vaillant martèle qu’ « il ne s’agit plus de prôner une abstinence illusoire mais de modérer la consommation des Français ». Et de conclure : « Sur le plan de la santé publique, la légalisation contrôlée permet, grâce à l’encadrement de la production et de la distribution, d’instaurer une politique de réduction des risques : elle offre les moyens nécessaires à l’encadrement de la consommation de cannabis et à la sanction des abus nuisibles pour la société. »


Face à ces propositions, la droite française ** dans sa quasi-totalité (sauf Dominique de Villepin, qui s’y est dit favorable) mais aussi une partie de la gauche (dont Manuel Valls et Ségolène Royal) ont réagi de façon caricaturale ( « Je ne veux pas que notre pays offre aux collégiens un avenir de drogue », dixit Claude Guéant, sic !) et restent persuadées de l’illusoire « valeur de l’interdit ». Alors qu’on sait que le cadre légal n’entre en rien dans le choix individuel de consommer ou non. Le débat s’ouvre à peine. Il sera sans doute présent durant la campagne présidentielle. Puisque les dommages connexes de la prohibition sont bien supérieurs à son peu de résultats, il serait logique de changer de politique. Pour la santé des consommateurs et la sécurité de tous.

Publié dans le dossier
Drogues, pourquoi il faut dépénaliser
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