Gay, gay …

… marions-les. Où l’on reparle du mariage homosexuel.

Bernard Langlois  • 14 juin 2011
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[Puisque la question revient sur le tapis, et vu que je n’ai pas changé d’avis depuis huit ans, lors d’un débat identique et précédent, je me permets de vous ressortir mon bloc-notes de l’époque, juin 2004. Quand l’ami Mamère, député Vert et maire de Bègles (vous ne l’avez pas oublié) avait marié deux homos en sa mairie, et en toute illégalité. C’est un peu long, mais la question, je trouve, mérite une réponse nuancée … ]

Illustration - Gay, gay …

(AFP)

DU MARIAGE HOMOSEXUEL.

Je crois avoir été un des premiers signataires, dans les années 80, d’une pétition réclamant la création d’un contrat civique garantissant les droits des couples homos (à l’initiative d’une association — sauf erreur, Arcadie —, qui m’avait sollicité.) Bien qu’hétéro indécrottable, je n’ai jamais supporté le rejet et le mépris, encore moins les agressions dont les « pédés » sont trop souvent victimes.

J’ai toujours, dans l’exercice de ma profession, combattu l’homophobie, notamment à la télévision, dans le cadre de « Résistances » .
Et si je suis parfois un peu agacé par l’exubérante manifestation d’une « fierté » homosexuelle (a-t-on lieu d’être fier d’être blond, brun ou rouquin ?), comme par toute exacerbation d’appartenance communautariste, je l’accepte et la comprend comme une compensation et l’expression d’un combat pour l’égalité, qui n’aurait pas lieu d’être si celle-ci existait. Voilà bien, me dira-t-on, des précautions oratoires !

J’en conviens : sur certains sujets sensibles, elles ne sont pas superflues.

UNE EXIGENCE D’EGALITE.

D’abord, je n’ai pas bien compris. Mais pourquoi diable veulent-ils couler leur originalité dans le moule conformiste de la banalité hétéro ? En quoi ce mariage, pourtant si démonétisé et qui n’est souvent que l’antichambre du divorce, leur semble-t-il si désirable ?

Parmi les réactions, nombreuses, celle de Labarrère, inusable maire de Pau et homo notoire, qui m’a fait marrer : « Pourquoi diable veulent-ils à tout prix être cocus ? » . Plus sérieusement, la lecture des nombreuses tribunes et opinions partout étalées m’ont fait comprendre deux choses. La première est que la revendication du mariage est une exigence d’égalité de droits, matériels et symboliques : nous sommes des gens comme vous, capables d’aimer, de souffrir, de bâtir, comme vous ; même si différents de vous par une distinction d’ordre sexuel que nous n’avons pas choisie. Nous voulons donc des droits identiques aux vôtres, dans le domaine de la protection (sociale, fiscale, etc.) et dans celui de la reconnaissance de notre normalité (vie de couple, projets et vécu communs, etc.). La seconde est que tous les homosexuels n’étaient pas de farouches partisans du mariage, certains trouvant même cette revendication mal venue et absurde. Concernant la première, à vrai dire, je le savais déjà. Mais je croyais naïvement que l’instauration du Pacs avait résolu le problème. Apparemment, ce n’est pas le cas. Si donc des inégalités subsistent, il convient de les abolir. Un couple homo doit pouvoir organiser sa vie, faire des projets, investir, transmettre (au conjoint survivant) et, il va de soi, vivre sans raser les murs, dans des conditions identiques au couple hétéro.

Cette exigence d’égalité n’est pas négociable.

ABSURDE, DANGEREUX ?

Passe-t-elle pour autant par cette célébration qu’on appelle mariage, qui sera toujours jugée, qu’on le veuille ou non, comme une parodie par le plus grand nombre ?

Bien des homosexuels n’en sont pas persuadés. Mais dans cette affaire, comme dans tant d’autres, une minorité active, virulente et disposant de forts relais médiatiques tend à parler au nom de toute la « communauté » (si tant est qu’elle existe).

Lisez ce qu’en dit, par exemple, l’écrivain Benoît Duteurtre : « Je suis bien certain qu’une majorité d’homosexuels — en tout cas dans mon entourage — ne souhaite nullement se marier, trouve cette revendication absurde et se contenterait bien d’une amélioration du Pacs. (…) Tout est fait, dans la mise en scène de ce débat de société, pour montrer, d’un côté des couples de gays et de lesbiennes en souffrance de mariage et de parenté ; de l’autre une société “ frileuse ”, pour des raisons religieuses ou éthiques. Sauf que la plupart des homosexuels vivent très loin de cette opposition. »

. Revendication absurde, pour Duteurtre. Dangereuse, ajoute Laurent Dispot, (militant historique de la cause homo), qui craint un regain d’une homophobie qu’il juge en régression : « Si le mot et la chose “ mariage ” ne devaient heurter, troubler, rendre humilié ou triste qu’un seul petit, faible, délaissé dans ce pays, alors cela suffirait pour y renoncer absolument. Parce que lorsqu’on est sûr de soi, de ses goûts, de sa sexualité, on n’a besoin de froisser personne, on joue dans le respect, la politesse ; on est au-dessus de toute provocation. (…) C’est quand la situation économique est douloureuse, quand les populistes ont du vent dans les voiles, et sont gonflés, qu’il importe de toucher encore moins au symbolique : ce peu qui reste à ceux qui ont peur de manquer. » .

Dieu sait que dans ce domaine, on touche au symbolique. Et ce n’est pas qu’une affaire de génération, comme l’a dit Mamère à l’adresse de Jospin, qui paraît en cette affaire plus lucide que certains présidentiables de son parti.

EN SORTIR.

Alors, oui à l’égalité des droits, non au mariage homosexuel ? Comment sortir de ce dilemme ? J’en suis arrivé à une conclusion qui a le mérite de la simplicité : il suffit de supprimer le mariage !

J’entends : le mariage civil. Ce qui ne ferait nulle peine aux très nombreux concubins hétéros qui s’en passent fort bien et procréent en toute liberté des enfants qui ne s’en portent pas plus mal. On remplacerait ça par un contrat civil, dûment enregistré en mairie sans chichi ni prêchi-prêcha, bien évidemment ouvert à tous et garantissant les mêmes devoirs et les mêmes droits. Libre à chaque couple de fêter l’événement à sa convenance et en son privé. Libre aussi à eux d’aller faire bénir leur union s’ils le souhaitent auprès du représentant de l’église de leur choix. Le mariage resterait ainsi l’apanage des religions, chacune d’elle adoptant les codes et rites qui lui conviennent. L’égalité de tous devant la loi serait ainsi acquise, sans discussion. Les gens pour qui l’institution du mariage garde un caractère sacré, intouchable, n’auraient nul reproche à adresser à l’Etat républicain. Curés, rabbins, imams et autres pasteurs s’arrangeant avec leurs ouailles respectives dans le respect le plus limpide de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Qui peut trouver à y redire ?

Quelques jours après avoir trouvé (tout seul comme un grand) cette solution lumineuse, je regardais débattre deux belles intelligences à la télé : Debray et Derrida. En fin d’émission, on posa la question à mille balles au second. Sa préconisation était en tous points identique à la mienne, damned ! J’aurais dû la formuler plus tôt …

ET L’ADOPTION ?

Bien sûr, je n’ignore pas qu’un train peut en cacher un autre, et que derrière la revendication du mariage se pose celle de l’adoption. Elle est sans doute plus délicate encore.

Mais nous nageons en plein hypocrisie, puisque rien n’empêche un célibataire, mâle ou femelle, d’adopter un enfant et de partager avec lui un foyer homosexuel. Les cas sont déjà légion. Beau sujet d’empoignade pour les psys. Je ne suis pas psy. Mais je ne méconnais pas la réalité sociale de ce pays (parmi d’autres) où les cas d’inceste, ou simplement de brutalités et mauvais traitements, encombrent les tribunaux et la rubrique des faits divers. On aura du mal à me faire admettre qu’un couple d’homosexuel(les) épanoui et stable est plus dangereux et déstabilisant pour un môme que celui offert par des « vrais » parents alcoolos, locataires de certaine HLM d’Outreau, ou d’ailleurs. Comme toujours, c’est la misère qui est en cause — matérielle, morale, sexuelle —, pas l’orientation sexuelle. Qu’on prenne quelque temps pour réfléchir à la question, posément, et acclimater l’opinion à une résolution positive n’est pas scandaleux : à cet égard, la proposition de Raffarin de créer une commission de sages sur le modèle de la commission Stasi sur le voile me paraît recevable.

De toute façon, il faudra bien sortir de l’hypocrisie.

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