La comédie des primaires

Denis Sieffert  • 30 juin 2011 abonné·es

Voilà qui commence à prendre forme. Nous avions Hollande, Valls, Montebourg, Royal ; depuis ce mardi – quelle surprise ! –, nous avons Aubry. Sans oublier quatre autres candidats, de moindre notoriété, mais tout aussi respectables. À peu de chose près, les « nominés » du Parti socialiste sont désormais connus. Seul Pierre Moscovici peut encore grossir les rangs de cette armada de postulants. C’est donc parmi eux que les femmes et les hommes de gauche seront invités les 9 et 16 octobre à choisir celle ou celui qui portera les couleurs du parti à la présidentielle. En l’état actuel des sondages, il n’est pas difficile d’imaginer que le prochain président de la République a quelque chance de figurer dans cette liste. Ce qui – quoi qu’on en pense par ailleurs – confère à cette compétition assez d’importance pour qu’on s’y intéresse. Avons-nous parmi ceux-là une préférence ? Ou, pour poser la question plus naïvement encore, certains sont-ils plus à gauche que d’autres ? À cette interrogation, vous vous entendrez répondre : Aubry est « évidemment plus à gauche » que Hollande, et Montebourg que Royal. Quant à Valls, il est « plus à droite » que tous les autres réunis. L’affaire se gâte si on vous demande d’expliquer ces jugements à l’emporte-pièce… Il y a comme ça des images qui ont la vie dure.

Car Aubry est à la fois la femme des « 35 heures » (la loi Aubry 1) et celle qui a tué les 35 heures (la loi Aubry 2). Et toute fille de son père qu’elle est, elle ne s’inscrit pas plus, mais pas moins, dans l’héritage (spirituel) de Jacques Delors que François Hollande, issu du même creuset idéologique.
On voit trop, hélas, que la campagne socialisto-socialiste qui s’annonce ne se jouera pas sur la politique. Tous nos candidats se réclament du même projet. Le reste est affaire de postures et d’attitudes. Ce n’est pas en soi le principe des primaires qui est détestable mais l’absence de critères sérieux proposés au choix des électeurs. Il faudra faire avec ce que les psychanalystes appellent « le narcissisme des petites différences ».

Ce qui peut se traduire en termes politiques par : plus tu me ressembles et plus je dois te détester pour réussir à exister. Hollande et Aubry, on le sait, ne s’apprécient guère… Chacun va donc camper un personnage de composition. C’est misère, par exemple, de voir François Hollande jouer les Monsieur Prudhomme ( « C’est mon avis et je le partage » ) ou d’essayer d’illustrer le mot de De Gaulle à propos d’Antoine Pinay : « Cet homme a une tête d’électeur. » Alors qu’on le sait capable d’un humour dévastateur. Dans sa revendication de « normalité », comprenez « banalité », il n’est évidemment pas lui-même. Aubry n’a que quelques jours pour trouver son personnage. Le logo de son site, rouge pour « Martine », bleu pour « Aubry », donne déjà le ton. On flattera davantage la fibre nationale que la symbolique de la gauche sociale. Mardi, à Lille, elle a surjoué la légitimité : Martine Aubry ne se présente pas aux primaires, mais à la présidentielle. L’argument de l’évidence peut être fort. Il peut aussi irriter les électeurs de gauche. À quoi bon des primaires, si l’on n’a aucune considération pour cette étape ?

Le même parallèle pourrait être dressé entre Montebourg et Royal. Le premier fut en 2007 le porte-parole de la seconde. Et il faut un œil de myrmécologue pour distinguer politiquement l’un de l’autre. Et ce n’est pas le fumeux concept de « démondialisation », cher au député de Saône-et-Loire, qui va clarifier la situation. Finalement, une seule image résiste à l’examen, celle de Manuel Valls. Lui incarne bel et bien la droite du PS. En quelques années, le jeune loup rocardien, qui fut aussi chargé de la communication à Matignon du temps de Jospin, s’est façonné une image de Guéant ou de Hortefeux socialiste. Il aura son bâton de maréchal s’il entre place Beauvau. Il se verrait bien réincarnant Jules Moch, ce ministre de l’Intérieur socialiste qui fit tirer sur les mineurs lors des grandes grèves de 1947. La comparaison peut paraître brutale. Elle n’est pourtant pas excessive. Dans un livre récent, Valls lui-même avoue se sentir plus proche de Clemenceau que de Jaurès dans le fameux débat de 1906, quand le socialiste reprocha au radical d’avoir déployé vingt mille soldats pour réprimer les mineurs en grève de Courrières. Nous n’avons pas encore notre Président, mais nous avons déjà notre « premier flic de France ». En l’état actuel du débat au sein du Parti socialiste, ces primaires risquent donc d’être ravageuses.

Comment imaginer qu’un candidat ose dire ce que nous aimerions entendre : « Si, demain, la France se trouvait dans la situation de la Grèce ou de l’Espagne ou du Portugal, je n’agirais pas comme Papandréou, Zapatero ou Socrates, tous trois pourtant dignes représentants de l’Internationale socialiste ; je ferais payer les riches, je n’emprunterais pas sur les marchés financiers, et je ne céderais pas au FMI ! » Celui-là se différencierait magistralement. À défaut, nous sommes condamnés à assister à des affrontements de personnalités. Ce qu’il y a de plus vain et de plus douloureux. Et de plus irréparable.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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