Le Bitoux, champion de lutte

Les deux réalisateurs
Voto & Goa signent
un documentaire retraçant
le parcours et les combats
de Jean Le Bitoux (1948-2010), l’un des premiers activistes gays français.

Olivier Doubre  • 30 juin 2011 abonné·es

Un soir de 1979, dans un demi-sourire, Michel Foucault, sollicité pour trouver un titre au premier magazine gay français, fait à Jean Le Bitoux les deux propositions suivantes : « le Gai Pied », ou encore « le Gai tapant ». Le premier sera finalement retenu. Proche admirateur de Simone de Beauvoir et de l’auteur de la Volonté de savoir (paru trois ans plus tôt, premier tome de l’ Histoire de la sexualité ), Jean Le Bitoux fut de tous les combats du mouvement gay français des années 1970 à 1990. « Agitateur maoïste ou activiste homosexuel et drogué, j’ai toujours été un déraciné » … C’est ainsi qu’il se définissait quelques années après Mai 68, cet « immense cri contre de Gaulle, affirmation d’une identité collective » qui fut pour lui une véritable révélation en termes d’engagement et de capacité à interférer sur le cours des choses. Ce fils de militaire, rejeton de la bonne bourgeoisie bordelaise, quitte alors le domicile parental. Fraîchement débarqué dans la capitale, il côtoie l’éphémère mais ô combien radical Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) mais aussi le Mouvement des femmes, dans des années aussi festives que revendicatives, entre libération sexuelle et expérimentation du LSD. 


Mais Jean Le Bitoux sent très vite que son principal combat sera celui de la fierté homosexuelle et de l’égalité de droits. En 1977, après l’attaque par le groupe d’extrême droite Jeune Nation d’un festival de films organisé à La Pagode, magnifique salle de cinéma dirigée alors par Frédéric Mitterrand, Guy Hocquenghem et lui prennent conscience de la nécessité « d’aller plus loin que le culturel » et de remettre en cause le code pénal sur l’homosexualité. Car accoler alors les mots « magazine » et « homosexuel » envoie votre publication directement au rayon « pornographie ». D’où l’idée de Jean Le Bitoux de solliciter de grandes signatures dès les premiers numéros du Gai Pied, qui naît en 1979. Jean-Paul Sartre, Jean-Paul Aron, Gilles Deleuze répondent de bon cœur aux questions des « militants-journalistes » de sa rédaction. Et d’abord Michel Foucault, qui, interviewé pour le premier numéro, explique le titre : « Parce que pour être gay, il faut le pied et échapper au guêpier, au ghetto » … Le succès est immédiat. Le journal se vend dans toute la France à des lecteurs pour qui le demander au kiosque du coin équivaut à faire son coming-out. 
Jean Le Bitoux sera pendant plus de vingt ans l’un des piliers de cette toute première publication gay en France. Non sans difficultés. Les années de l’hécatombe du sida déferlent bientôt, avec leur lot de fantasmes, de désinformation, et le retour de la stigmatisation des homosexuels, dont on avait cru s’être débarrassé avec l’élection de François Mitterrand et l’abrogation des articles discriminatoires du code pénal. Naît alors un militantisme nouveau, directement lié à la lutte contre la maladie, auquel Jean Le Bitoux contribue largement, dans le sillage notamment de l’association Aides. Notamment en (re)lançant en 1992 la Gay Pride parisienne, les manifestations de fierté et de visibilité gaies des années 1970 ayant cessé avec l’apparition de l’épidémie. De 6 000 participants la première année, elle en rassemble bientôt plus de 100 000 en 1996, puis 300 000 l’année suivante, immense « victoire de tous les gens qui sont différents », selon ses mots.


Commencé quelques mois avant sa brutale disparition — Jean Le Bitoux a été contaminé par le sida sans doute très tôt et ne tombera malade qu’à la fin des années 2000 –, ce film de Voto & Goa retrace la vie de l’activiste, placée, p≠endant plus de quarante ans, sous le signe de la lutte contre les discriminations envers les « pédés et les goudous ». Avec ce Gai tapant, les deux réalisateurs (re)mettent ainsi en lumière, à travers de nombreux témoignages (Robert Badinter, Didier Lestrade, Louis-Georges Tin, ou le déporté homosexuel dans les camps nazis Pierre Seel), l’action de celui qui fut l’un des leaders du mouvement gay français, critiqué parfois en son sein, mais qui, toujours en première ligne, contribua largement à faire progresser l’égalité des droits entre tous, quelle que soit l’orientation sexuelle de chacun.

Idées
Temps de lecture : 4 minutes

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