« Le retour probable des talibans »

Olivier Guillard, spécialiste de l’Afghanistan, fait un point sur la situation dans ce pays à un mois du début du retrait des troupes américaines.

Audrey Loussouarn  • 30 juin 2011 abonné·es
« Le retour probable des talibans »
© Olivier Guillard est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Photo : AFP

Politis : Quel est l’état des lieux en Afghanistan ?

Olivier Guillard : Le pays vit la situation la plus difficile depuis dix ans. Étant donné la situation économique, militaire et politique, il n’existe aucun motif de se réjouir. Le constat est dur et la trame à venir n’est guère encourageante. Dix ans après le départ des talibans du pouvoir, c’est un retour vers l’ancien système. Le gouvernement d’Hamid Karzaï se réjouit de la situation. Pourtant, l’édification du pays est seulement envisagée à court terme. C’est davantage un désengagement des régimes occidentaux qu’une reconstruction. Les Afghans ne sont pas capables de se prendre en charge. Et c’est la population qui va en subir les conséquences, car la corruption, l’endettement et l’insécurité persistent et persisteront.

Qu’est-ce qui a changé en dix ans de présence occidentale ?

Dans le fond, rien n’a réellement changé. Les Occidentaux ne pouvaient changer en dix ans un pays qui en aurait besoin de cinquante. Malgré un objectif trop ambitieux et une perte de temps les premières années, les Occidentaux ont toutefois fait beaucoup pour ­l’Afghanistan. Ils ont du moins tenté énormément de choses. Il y a eu des succès, comme la scolarisation des filles, l’accès aux soins et à la vaccination, la construction des réseaux électrique et routier. Le problème majeur de ces initiatives est que, la plupart du temps, les talibans détruisaient tout le lendemain.

Quelles sont les motivations du retrait occidental ?

Pour les Américains, le bilan est présentable. Ils tentent de légitimer une guerre qui a coûté très cher. Barack Obama a ses raisons économiques et électorales. Les talibans, eux, s’en félicitent car ils n’ont pas de vision à court terme. Ils ont le temps d’imposer leurs volontés car elles ne sont pas dictées par une opinion publique qui pourrait les freiner. Ce sont les grands gagnants. Du côté des Occidentaux, c’est une politique fébrile de désengagement que suivront probablement les pays qui ne se sont pas encore prononcés.

Militairement et politiquement, quelle est aujourd’hui
la position des talibans ?

Leur pouvoir réside dans leurs petites attaques par le biais d’engins explosifs improvisés. Ils se veulent, et sont, très présents sur tout le ­territoire. Pas officiellement, certes, mais ils sont déjà éparpillés dans l’Est et à la frontière pakistanaise. Ils sont localisés essentiellement dans le Sud, où se trouve leur fief. À cet endroit résident les Pachtounes, ethnie majoritaire représentant 40 % de la population afghane, dont les talibans sont issus. Ce qui fait croire à certains qu’ils peuvent faire partie de la solution. Ils commencent déjà à être réhabilités à l’extérieur du pays. Comment ? En étant conviés aux tables des négociations.

Existe-t-il un risque de retour des talibans au pouvoir ?

C’est très probable. Le gouvernement civil risque de reculer devant les talibans. Progressivement, ils pourraient revenir au pouvoir, mais ça ne se fera pas sans heurts. Ainsi, dans le nord-est du pays, les Tadjiks – ethnie dont était issu le commandant Massoud [^2] – prévoient de lancer une guerre civile si les talibans revenaient au pouvoir.

[^2]: Massoud, symbole de la résistance aux Soviétiques d’abord, aux Talibans ensuite, a été assassiné le 9 septembre 2001 par des tueurs d’Al-Qaïda.

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