Le trombinoscope Facebook déplaît

Christine Tréguier  • 16 juin 2011 abonné·es

Ces dernières semaines, tous les puissants de la planète ont fait ami-ami avec Marc Zuckerberg, le jeune PDG de Facebook. En particulier ceux qui doivent prochainement affronter des élections et veulent se mettre dans les petits papiers du plus grand réseau social. On l’a ainsi vu en costard-cravate plaisantant avec Obama, qui lui a rendu visite dans son QG de Palo Alto. Une relation que Jeffrey Chester, directeur du Center for Digital Democracy, a qualifiée de « malsaine » . Plus récemment, on l’a vu pérorant au e-G8 de Sarkozy et reçu en invité d’honneur par les chefs d’État réunis au G8 de Deauville. Une vraie consécration planétaire !

Mais Facebook ne fait pourtant pas l’unanimité. L’une des dernières fonctionnalités ajoutée au réseau social fait même grimper aux rideaux les défenseurs de la vie privée.
La fonction utilise un système de reconnaissance faciale. Si vous ajoutez à votre page des images d’une soirée avec des amis, tous ceux qui y figurent et qui ont déjà une page où apparaît leur photo seront immédiatement reconnus, et Facebook vous suggérera automatiquement leurs noms. Si vous acceptez, toutes les photos de votre album où apparaissent ces mêmes amis pourront alors être taguées simultanément. Pour Facebook, il ne s’agit que de faciliter la vie de ses abonnés en automatisant un processus. Problème, cette fonction au lieu d’être disponible à la demande, est activée par défaut, et les personnes ainsi identifiées n’ont pas leur mot à dire.

Passée relativement inaperçue aux Etats-Unis, où elle a été testée, cette fonction trombinoscope a fait réagir les Européens. Les membres du groupe de travail sur la protection des données G29, réunissant les Cnil européennes, ont décidé de se saisir du dossier. Pour Gérard Lommel, membre du G29 et président de la Commission nationale pour la protection des données au Luxembourg, « le marquage des personnes sur les photographies ne devrait survenir qu’avec le consentement éclairé des personnes » . Un tel marquage automatique « peut comporter des risques importants pour les utilisateurs » , et le G29 a l’intention de « faire savoir clairement à Facebook que les choses ne peuvent pas rester en l’état » .

Le problème n’est pas nouveau, puisque les utilisateurs pouvaient déjà taguer leurs photos manuellement sans en informer leurs amis. Et chacun peut modifier ses paramètres personnels pour désactiver la fonction. Mais le plus inquiétant, c’est l’idée que ces algorithmes de reconnaissance faciale soient actifs et opèrent en tâche de fond, qu’on le veuille ou non. On estime que Facebook a aujourd’hui 600 millions de membres et héberge quelque 90 milliards de photos. Ce réseau tentaculaire sait déjà qui connaît qui, y compris quand vous n’y êtes pas inscrit. En effet si votre mail était dans le carnet d’adresses d’un membre, et que vous avez été invité à être « son ami » , il est conservé. À l’avenir, il pourrait constituer un trombinoscope géant et retrouver en quelques clics toutes les images concernant un individu, et toutes les personnes et situations associées. Une base de données très personnelles, à l’échelle de la planète, conservée sans limitation de durée et dépourvue de tout contrôle extérieur.

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