« Le voyage à Blue Gap », de Patrice Robin : Les Indiens ne sont plus loin

Dans le Voyage à Blue Gap, Patrice Robin met en écho les failles du monde occidental et la mémoire préservée des Navajos.

Christophe Kantcheff  • 30 juin 2011 abonné·es

Encore un écrivain français fasciné par le mythe des États-Unis ? Le titre du nouveau livre de Patrice Robin, le Voyage à Blue Gap, pourrait le laisser penser. Mais Patrice Robin ne fait pas de la littérature « comme si », c’est-à-dire comme s’il était américain, en mimant des allures ou des manières qui deviennent des tics. Patrice Robin édifie un pont symbolique entre deux Ouest, celui de la France et celui des États-Unis, pour en réalité évoquer deux passés, deux mémoires, et leur marque possible dans le futur.


Les États-Unis, c’est d’abord sous la forme d’un Indien qu’ils apparaissent dans le livre. Un Indien navajo, Scott, qui a épousé la fille du narrateur, Louise, enseignante aux États-Unis. Ses parents vivent dans une réserve en Arizona, Blue Gap. Le premier rapport que le narrateur a avec Scott est cinématographique : sa fille lui apprend qu’il a tenu un petit rôle, dix ans auparavant, dans Sunchaser, de Michael Cimino. Le narrateur, en regardant le film, découvre un bel Indien excellent cavalier. Mais il précise que les oncles de Scott, quand ils le visionnèrent, « avaient moqué sa manière d’y parler le navajo, son débit haché de “cinéma”, à l’opposé du mode d’élocution traditionnel, lié et fluide ». On ne peut faire mieux dans la démythification. Toutes les références au western que contient le Voyage à Blue Gap sont de la même eau. John Ford et son acolyte, John Wayne, y sont particulièrement chambrés.


Mais revenons à Scott. Lorsqu’il l’accueille d’abord pour un séjour en France avec sa fille, le narrateur découvre un jeune intellectuel calme et moderne, pénétré des traditions de son peuple et de sa spiritualité. Puis c’est au tour du narrateur de faire « le voyage à Blue Gap ».

Mais ce séjour au pays des Navajos est précédé de visites, dans l’ouest de la France, que le narrateur rend à sa mère, atteinte par les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer. Tout l’enjeu du livre se trouve dans ce parallèle esquissé : tandis que le narrateur est chaleureusement reçu par des Navajos, qui, sans être repliés sur leur histoire remplie des heures sombres de colonisations successives, la maintiennent vivante, sa mère est en train de perdre peu à peu la mémoire.


Il y a dans ce Voyage à Blue Gap le parfum mêlé de la mélancolie du souvenir enfoui et la sérénité du présent assumé. L’étrangeté des paysages des canyons traversés est aussi belle que sont hostiles les contrées de la maladie. Patrice Robin est un écrivain subtil, précis, elliptique. Et son livre en dit long sur l’effroi de notre monde occidental contemporain, sans jamais le rendre explicite.

Culture
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