Libye : les fautes de l’Otan

La chute de Kadhafi se fait attendre. Entraînant dans un redoutable engrenage la coalition, qui a débordé le cadre du mandat de l’ONU.

Denis Sieffert  • 30 juin 2011 abonné·es

Sans doute Kadhafi finira-t-il par tomber. Les puissances engagées dans l’opération militaire sous commandement de l’Otan multiplient les prophéties optimistes. « Il est clair que les forces de l’opposition ont repris l’initiative, même si cela reste hésitant » , a estimé lundi un haut responsable des Nations unies, Lynn Pascoe, secrétaire général adjoint aux Affaires étrangères de l’ONU. Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, à peine plus prudent, a jugé, lundi également, que « la question n’était pas de savoir s’il [Kadhafi] doit quitter le pouvoir, mais comment et quand » . Il n’en reste pas moins vrai que les frappes de l’Otan se poursuivent maintenant depuis cent jours. Et, implicitement, M. Pascoe a reconnu qu’elles occasionnaient des pertes civiles, même si, a-t-il précisé, « le régime de Kadhafi est responsable de la grande majorité de ces pertes » . Ces civils sont victimes de la dérive du mandat initialement délivré par l’ONU, cette fameuse résolution 1973 adoptée le 19 mars dernier, qui autorisait la coalition occidentale à intervenir pour assurer « la protection des populations civiles » .

Souvenons-nous du contexte. Benghazi, fief des opposants, était alors encerclé par les chars de Kadhafi, l’aviation bombardait les faubourgs de la ville, et le dictateur promettait un « bain de sang » . Les premiers jours de l’intervention ont permis d’éviter le massacre annoncé. Les chars et les avions, ainsi que les pistes ont été systématiquement détruits. Les milices de Kadhafi et les troupes qui lui étaient restées fidèles ont ainsi été repoussées d’abord à Ajdabiya, puis jusqu’à Misrata, à 300 kilomètres à l’est de Tripoli, où la population a été piégée plusieurs jours dans un blocus sanglant.
C’est alors que les frappes de la coalition, passées sous commandement de l’Otan dès fin mars, se sont rapprochées de la capitale libyenne. De plus en plus clairement, il s’est agi de toucher les centres du pouvoir, sinon Kadhafi lui-même. Et bientôt, de viser le « guide », traqué dans toutes ses résidences supposées. Ce glissement du mandat de l’ONU pour protéger la protection civile en une chasse à l’homme a abouti à l’inévitable : les premières « bavures ». Le 20 juin, l’Otan reconnaissait qu’un raid sur Tripoli avait tué 9 civils.

Sur un plan diplomatique, la Ligue arabe, qui avait soutenu les premières frappes, appelait rapidement à la recherche d’une solution politique. Il est vrai que les signes contradictoires lancés par Kadhafi n’ont pas facilité la tâche des partisans d’une négociation. Quoi qu’il en soit, la résolution de l’ONU a été largement transgressée. Aujourd’hui, c’est l’Union africaine, par la voix du président sud-africain, Jacob Zuma, qui hausse le ton, soulignant qu’aucun mandat n’a été délivré pour conduire « l’assassinat politique » de Mouammar Kadhafi. Sur le fond, le prolongement des opérations menées par l’Otan résulte sans aucun doute d’une erreur d’appréciation. La Libye n’est ni l’Égypte ni la Tunisie. L’idée qu’un coup de pouce allait suffire à faire triompher la révolution était largement erronée. Les stratèges internationaux ont sous-estimé la coupure du pays. Si Benghazi et la Cyrénaïque, région orientale du pays, étaient entièrement acquis à la révolte, Tripoli, bénéficiaire d’un système mêlant clientélisme et tradition tribale, préservait une base sociale pour le régime.

Sur le terrain, les rebelles ont repris leur marche en avant et se trouvaient mardi à 50 km de Tripoli. Cela, alors que la Cour pénale internationale délivrait un mandat d’arrêt à l’encontre de Mouammar Kadhafi, et de son fils, Seif Al-Islam, et du chef des renseignements, Abdallah Al-Senoussi, pour « crime contre l’humanité ». Une décision interprétée par Tripoli comme une manœuvre destinée à détourner l’attention de l’opinion des frappes de l’Otan. Mais ce n’est sûrement pas sur le plan de la justice internationale que va se jouer le sort de Kadhafi. Le mandat d’arrêt de la CPI n’a jamais empêché un autre grand paria, le président soudanais Omar el-Béchir, d’honorer ses engagements. Il était mardi en visite officielle en Chine sans être le moins du monde inquiété.

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