Petite histoire de la tomate

*Chronique « jardins » du week-end.* Le jardinage peut-il aussi être un objet politique ou un acte de résistance ? Chaque année, les potagers individuels fournissent 100 000 tonnes de tomates, source d’économie pour des milliers de Français peinant à boucler leurs fins de mois. Retour sur l’histoire d’un légume facile et populaire.

Claude-Marie Vadrot  • 4 juin 2011
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Petite histoire de la tomate
Photo : © WikiMedia (Wikimedia)

Garde-manger nécessaire, le jardin est aussi une occasion de raconter des histoires oubliées. Aujourd’hui, justement, la tomate, dont les fruits commencent à se former en mon jardin des bords de Loire grâce au chaud printemps…

Les Italiens et les Espagnols furent les premiers à accueillir cette belle américaine venue des Andes. Tandis que les naturalistes français, hollandais et allemands chipotaient, hésitant à goûter, craignant de s’empoisonner avec ce fruit, les Italiens adoptaient «  le pomo d’amore  », nom qui lui resta de l’autre côté des Alpes jusqu’au début du XXe siècle. Ils se moquaient qu’un voyageur du XVIe siècle l’ait nommée «  pomme malsaine  », tout en la rapportant vers l’Europe du Pérou où il l’avait trouvée. Le fruit inca découvert dans les jardins d’altitude mis à sac par les conquistadors espagnols, notamment sur les pentes du Machu Picchu et à Cuzco, était minuscule, « rouge comme une cerise » et goûteux. La tomate fut transformée et améliorée pendant des siècles avant que jardiniers et agronomes réinventent à grands frais, sans rire et comme une prouesse, la tomate cerise qui n’est rien d’autre que la tomate d’origine. Je me souviens en avoir grappillé, sauvages et rampant sur le sol, dans la montagne péruvienne ou sur l’altiplano bolivien.


Avec cet article, Claude-Marie inaugure sa « chronique main verte » du week-end consacrée aux jardins, au sens large. À vous, lecteurs, de nous dire, grâce au forum ci-dessous, si vous souhaitez voir ce rendez-vous pérennisé.


Le cheminement des plantes volées à l’Amérique n’étant jamais simple, nul ne sait plus aujourd’hui si c’est la tomate des Andes ou celle déjà améliorée par les Aztèques au Mexique qui parvint la première en Europe. Le nom tomate, finalement adopté par de nombreux pays européens dés la fin du XVIe siècle, viendrait de l’appellation aztèque « tumatle ». C’était avant qu’en 1750, le naturaliste suédois Linné, enragé de la classification, lui donne enfin un de ces noms latins qui consacre l’entrée d’une plante dans le Panthéon des espèces : Solanum lycopersicum . Façon de rappeler aux lettrés que cette famille des solanacées comprend des plantes vénéneuses. Les Italiens, sans attendre Linné, avaient commencé à les accommoder et à les manger à toutes les sauces. On raconte qu’ils pensaient que, ressemblant à la mandragore, la «  pomme d’amour  » possédait des vertus aphrodisiaques. Ce qui n’est certainement pas le cas de gros fruits insipides mûris en cageots voyageurs que l’on nous vend souvent aujourd’hui.

Olivier de Serres, plus inspiré sur d’autres plantes et légumes, expliquait au début du XVIIe siècle dans son Traité de l’Agriculture que la tomate était malsaine mais pouvait décorer agréablement un jardin. La Quintinie, maître jardinier de Louis XIV, ne l’accueillit jamais en son jardin royal où le roi soleil s’initiait au jardinage. Il fallut attendre en France la fin du XVIIe siècle pour que les tomates, déjà plurielles en variétés, apparaissent dans les jardins et sur les tables, envoyées par le sud du pays. Probablement non pas apportées mais au moins popularisées sous la Révolution par des sans culottes venus de la région de Marseille. Graines en poche à tout hasard, ils réclamaient dans toutes les gargotes qu’on leur serve leur fruit favori depuis quelques années. La tomate avait gagné Marseille depuis l’Italie en passant par Nice.

En France et dans les pays plus nordiques, la grande aventure de la tomate commence finalement au début du XIXe siècle, mais il fallut attendre les années 1920 pour que ce fruit-légume commence à servir d’indice de mécontentement dans les théâtres parisiens, ceux des grands boulevards, notamment. Il y avait déjà le choix puisqu’une centaine de variétés était alors identifiée. En 2005, le chiffre a largement dépassé 1500. De quoi satisfaire les centaines de millions de terriens qui en consomment chaque année environ 80 millions de tonnes. Avec un net fléchissement en France depuis quelques années. Car la production familiale progresse constamment, les jardiniers amateurs ayant compris qu’avec quelques mètres carrés de terre ou sur un balcon ils pouvaient cultiver des produits de meilleure qualité que la production agro-industrielle, de plus en plus dégradée. Sans oublier que, comme en Afrique ou en Amérique Latine, on peut choisir de laisser la tomate courir sur le sol plutôt que de l’attacher à un tuteur. On dit aussi qu’il faut tailler, mais, si vous oubliez ou avez la flemme, le résultat ne sera guère différent. La tomate est bonne fille.

Quelles variétés ? Chacun son goût et son choix. Le mien se porte sur la tomate cerise, jaune ou rouge, et la mini-tomate jaune en forme poire. Comme amuse-gueule. Ensuite, pour la sauce et pour faire sécher au soleil, les tomates olivettes, Roma ou Prince Borghèse. Je cultive aussi la Cœur de bœuf pour ses gros fruits, la Cornue andine, toute en longueur, pour la faire sécher, parce qu’elle est délicieuse et que sa forme amuse, la Saint-Pierre, la Montfavet précoce, la Russe pour faire d’énormes tomates farcies et l’Evergreen parce que restant toujours verte elle décore (avec goût) les salades. Reste à réinventer le jet de tomates au théâtre, habitude hélas tombée en désuétude.


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Écologie
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