Roulez, contes de la jeunesse

Valse planétaire avec une série d’albums pour les très jeunes lecteurs, qui allient engagement graphique et documentaire.

Ingrid Merckx  • 23 juin 2011 abonné·es

Diaporama


Et si la Terre était… un accordéon ? 48 pages à tourner ou à déplier pour déployer 48 scènes qui se tiennent dans 48 endroits du monde « au même instant ». « Il est 6 heures à Dakar. À peine levé, Keita compte les poissons que son père a pêchés cette nuit. » Au même instant, que se passe-t-il à Paris, en Bulgarie, en Ouzbékistan, à Anadyr ou sur l’archipel de Samoa ? Benoît prend un bol de chocolat, Mitko court pour attraper le bus scolaire, Ravshan et Yuliya reviennent du marché, Ivan rentre de l’école, Abby fait cuire le repas du soir… Fidèle à ses aspirations universalistes, et dans le cadre de « l’Été des bouquins solidaires », Rue du monde propose un diaporama planétaire qui a le grand mérite d’éviter le piège de la carte postale. Fondant l’effet dépaysant sur l’onomastique, et le rythme de lecture sur des contrastes forts entre les univers graphiques et géographiques, Clotilde Perrin compose un joli assortiment de « choses vues » sur le globe. Sur quatre mètres de long !
Dans le cadre de la même opération, Bisha, la chèvre bleue qui parlait rrom. Cet album insère dans une prose volubile des phrases en langue rrom originale. Surtout, il utilise un style évoquant l’esthétique des vieux magasins de jouets pour tisser une parabole sur une réalité bien actuelle. Si le drame des sans-papiers se coule dans le conte, c’est qu’il a (déjà) rejoint l’Histoire. Même s’il n’est pas encore du passé.


Au même instant sur la terre, Clotilde Perrin, Rue du monde, 48 p., 24,50 euros.
Bisha, la chèvre bleue qui parlait rrom, Alain Serres et Delphine Jacquot, Rue du monde, 32 p., 16 euros.


Ambidextre


Le livre s’ouvre comme un carnet à dessin, par le haut. Deux couleurs sur la page : du noir et des touches d’un rouge orangé. Elles n’ont pas la même fonction. Tantôt l’une est pour le dessin, l’autre pour le texte. Tantôt l’une fait tout le dessin quand l’autre souligne un détail — un groupe de mots, une fenêtre dans une tour, les pommettes de la fillette. Tantôt, encore, elles indiquent deux ordres d’idées : la petite fille dans son lit est dessinée au trait noir sur la page du bas, et son rêve au trait rouge sur la page du haut… Il y a des pages blanches aussi. Et d’autres sans texte : un bus quitte le cadre par la gauche avec la petite fille à bord ; la maison de la grand-mère avec un soleil, un arbre et cette mention : « Le temps passa. » Sur la double page suivante, la mention disparaît mais, comme le dessin est identique, elle est implicitement répétée. Toutes ces subtiles idées modèlent un univers puissamment ­imaginatif et un hors-champ délicatement fécond. Sur la dernière page, l’auteur se représente lui-même, les cheveux frisés avec des lunettes, les joues roses comme son personnage, et explique : il est brésilien, il a déjà illustré plusieurs livres, mais celui-ci est le premier où il est à la fois auteur et illustrateur. L’interaction entre le texte et l’image est telle qu’ils ne pouvaient être que de la même main ? Faux, car Renato Moriconi dessine des deux mains : noir pour la gauche, rouge pour la droite ! Deux empreintes pour une même signature.


Dessine-moi un rêve, Renato Moriconi, traduit du portugais (Brésil) par Fanny Gauvin, Actes Sud junior, 12,50 euros.



Végétal


La manière de représenter la nature retient l’attention dans ces deux livres : luxuriante, multicolore et enchanteresse dans Wangari Maathai. Branchages fins et racés, entre l’algue, le tapis persan et l’enluminure, dans Mourgui. Le premier retrace l’histoire de cette Kenyane en lutte contre la déforestation dont le portrait « réel » figure en version documentaire à la fin du livre. Le second revisite la célèbre fable de la petite poule rousse dupant les renards en la baignant dans la tradition des Warlis (peuple indigène de l’ouest de l’Inde). Les noms et les décors changent mais le personnage se ressemble des deux côtés de la planète.


Wangari Maathai. La femme qui plante des millions d’arbres, Franck Prévot, Aurélia Fronty, Rue du monde, 48 p., 17 euros. 
Mourgui, la petite poule rousse, Noëlle Deffontaines-Chembayil, Actes Sud Junior, 12 euros.



Culture
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