Solidaire : « Un syndicalisme de terrain »

Alors que Solidaires clôture son cinquième congrès, une étude analyse le profil de ses militants. Spécialiste du syndicalisme, Sophie Béroud détaille les spécificités de cette organisation en pleine évolution.

Jeanne Portal  • 9 juin 2011 abonné·es
Solidaire : « Un syndicalisme de terrain »
© AFP / Dufour

Des universitaires ont publié les résultats d’une vaste enquête (1) sur les militants de Solidaires (union syndicale interprofessionnelle regroupant notamment les syndicats SUD), qui a tenu son cinquième congrès à Villefranche-sur-Saône du 7 au 9 juin. Première du genre à s’intéresser à la sociologie des militants, l’étude interroge ceux-ci sur leurs valeurs et leurs orientations, alors que cette organisation née en 1998, ancrée dans un syndicalisme de lutte, est en pleine évolution. Plusieurs vagues ont ainsi renforcé les troupes de Solidaires, et la dernière « ne semble être liée qu’en partie à la crise qui [a secoué] la CFDT suite au mouvement contre la réforme des retraites en 2003 », souligne l’enquête, sur laquelle a travaillé Sophie Béroud.



Poliits :  Quels sont 
les spécificités et les principes de Solidaires par rapport aux autres forces syndicales ?


Sophie Béroud :  Solidaires se différencie par son histoire. À l’origine, il y a des équipes sorties de la CFDT, qui ont constitué des syndicats SUD, mais on y trouve aussi des syndicats qui étaient autonomes depuis 1948 (ils avaient alors refusé la coupure entre la CGT et FO). Ces derniers avaient fondé le G10, qui s’est transformé avec l’arrivée des SUD pour donner naissance à l’Union syndicale Solidaires. Une autre particularité tient à la revendication d’un syndicalisme tourné vers la lutte contre les politiques néolibérales et affirmant la nécessité de travailler sur un projet de transformation sociale. Il existe également des spécificités dans son fonctionnement, notamment pour garantir des règles de démocratie interne. Les militants ont tout de suite mis en place une réflexion pour le respect de la pluralité interne et pour les minorités. Le droit de veto, la recherche de consensus, la rotation des mandats et la transmission systématique d’informations constituent les grands principes de Solidaires.


Solidaires se présente comme un syndicat défendant les droits des chômeurs et des précaires. Comment sont-ils représentés ?


Solidaires a des difficultés à avoir parmi ses équipes militantes des salariés connaissant des formes de précarité. Notre enquête révèle que l’immense majorité des délégués occupe un emploi stable. 83 % d’entre eux sont à plein-temps, tandis que la part des chômeurs est quasi nulle. Sur ce point, Solidaires présente peu de différences avec les autres organisations syndicales, mais toutes ne font pas de la lutte contre la précarité leur objectif central. La CGT, par exemple, porte aussi cette revendication, et le constat est quasi similaire lorsque l’on étudie la composition des congrès syndicaux ; cependant, la confédération a mis en place depuis le début des années 1980 des « comités de privés d’emploi ».
De façon générale, le syndicalisme a toujours eu du mal à syndiquer ceux qui sont en grande difficulté dans leur emploi et à rendre accessibles les postes à responsabilités. Pendant longtemps, la figure sociale dominante parmi les militants syndicaux était celle d’un homme blanc en emploi stable. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de femmes, de jeunes, de précaires dans les équipes de terrain… Cela signifie qu’on en retrouve en proportion bien moindre parmi ceux qui sont investis aux différents niveaux des organisations. Je crois qu’une réflexion doit être menée pour essayer de s’implanter dans des secteurs d’activité marqués par une forte précarité. Il est également nécessaire d’adapter l’organisation et ses modes de fonctionnement aux contraintes liées aux bas salaires, au temps partiel, au manque de temps et de moyens pour aller à des réunions.

Illustration - Solidaire : « Un syndicalisme de terrain »

Il y a une surreprésentation des cadres et professions intellectuelles. Comment expliquer leur présence ?


Il est vrai que la surreprésentation des cadres et professions intellectuelles supérieures parmi les délégués de Solidaires interroge par son ampleur puisque leur poids relatif est deux fois plus élevé que dans la population active. Au-delà des délégués, la présence de militants très diplômés au sein de l’organisation peut s’expliquer — par-delà les secteurs d’implantation du syndicat — par le phénomène de déclassement. Les salariés qui ont un niveau scolaire élevé et qui se retrouvent dans des professions intermédiaires, notamment dans les entreprises publiques et dans la fonction publique, connaissent aujourd’hui une forme de déclassement, c’est-à-dire un décrochage entre leur niveau d’études et le poste occupé. Ils ressentent une stagnation dans leur carrière. Il y a donc un mécontentement et une base potentielle pour l’engagement syndical.


On constate que les jeunes se détournent de l’action syndicale, qu’en est-il 
pour Solidaires ?


La question du renouvellement générationnel traverse aujourd’hui l’ensemble des forces syndicales. Solidaires n’est pas épargné par ce phénomène. Différentes explications sont avancées pour comprendre l’engagement plus rare des « jeunes » dans le syndicalisme : une entrée dans la vie active plus tardive, un relatif fatalisme, un sentiment de désillusion, des difficultés à se projeter dans l’avenir, etc. Cela dit, lors de notre enquête de terrain, nous avons privilégié les entretiens avec de jeunes syndiqués. Ce qui nous a semblé intéressant, c’est que ces jeunes reprennent à leur compte les valeurs de Solidaires tout en ayant un autre parcours que leurs aînés. Ils n’ont pas forcément d’engagement politique ni de « multi-engagements », mais c’est par leurs expériences professionnelles qu’ils en viennent à s’approprier les représentations qui ont fondé Solidaires et qui donnent sens à un syndicalisme de lutte. Leur expérience vient par la dureté des relations sociales dans le monde professionnel, et c’est ensuite dans l’engagement syndical qu’ils sont amenés à se politiser, amenant d’autres dimensions à l’engagement. 
Les jeunes retrouvent avec Solidaires un syndicalisme de terrain, avec des militants disponibles, présents sur le lieu de travail et peut-être moins pris par des réunions institutionnelles, ce qui leur donne l’impression que ce syndicalisme-là est proche d’eux.


Avec la dynamique 
de renforcement, Solidaires 
ne risque-t-elle pas 
de ressembler aux grandes confédérations et de délaisser ses principes ?


Au sein de Solidaires, le fait de ne pas reproduire le mode de fonctionnement d’une confédération est un principe largement partagé et qui fait partie du socle commun rassemblant des équipes aux histoires différentes. Ce qui apparaît, cependant, c’est que l’organisation connaît des questions liées à sa croissance, notamment sur la rationalisation de sa structuration : faut-il se doter plus systématiquement de fédérations professionnelles ? Renforcer le fonctionnement des entités territoriales ? Créer des postes de permanents pour aider au développement syndical dans des secteurs marqués par la précarité ? Ce sont effectivement des questions liées au succès de l’organisation et qui posent des enjeux en termes de respect des principes de fonctionnement tels qu’ils ont été fixés dès le départ.

« L’Union syndicale Solidaires : une organisation au miroir de ses militants, profils, pratiques, valeurs », rapport d’enquête publié en février 2011. L’étude a été menée par Sophie Béroud (université Lyon-II — Triangle), Jean-Michel Denis (université de Marne-la-Vallée — CEE), Guillaume Desage (IDHE — ENS Cachan) et Martin Thibault (université Paris-Descartes — Cnam).

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