Une ONG pour surveiller la finance

C’est une première : un contre-pouvoir se construit pour résister à la spéculation financière. Les explications de Pascal Canfin, député européen écologiste, à l’origine du groupement européen Finance Watch.

Thierry Brun  • 30 juin 2011 abonné·es

L’ONG Finance Watch est née d’un appel lancé en juin 2010 par des élus européens en charge de réglementer les marchés financiers et les banques.

Quel sera son rôle ?

Pascal Canfin : Finance Watch va développer une contre-expertise, des études sérieuses et indépendantes qui seront capables de déconstruire un certain nombre d’arguments avancés par les banques européennes. Cette expertise permettra de faire pression sur la Commission européenne, le Parlement européen, les États. Par exemple, aujourd’hui, les groupes d’experts qui conseillent la Commission sont intégralement constitués de représentants de l’industrie financière. Il n’est pas étonnant qu’ils ne poussent pas à des réformes ambitieuses qui pourraient conduire à ce que les acteurs financiers gagnent moins d’argent. Les experts de Finance Watch mettront fin à ce monopole.

Finance Watch sera-t-elle une organisation de lobbying envers le Parlement européen ?

Oui. Ce travail n’est aujourd’hui fait par personne. Par exemple, les ONG ont été capables de développer une vraie contre-expertise sur les ­paradis fiscaux. Elles ont crédibilisé leur discours. Mais le travail de lobbying qui consiste à suivre les activités du Parlement européen et à saisir une opportunité législative pour proposer des amendements n’est pas fait. De plus, pour débattre d’un sujet sur la finance et gagner la bataille intellectuelle face à un banquier sur un sujet qu’il maîtrise sur le bout des doigts, il faut énormément travailler… D’où l’importance de mutualiser les moyens dans une ONG.

Finance Watch veut ensuite proposer aux décideurs politiques qui le souhaitent une analyse crédible, fouillée, mais aussi simplifiée, de façon à ce qu’elle soit compréhensible également par les médias. Je pense que, depuis la crise, les gens ont une appétence pour comprendre ces mécanismes financiers. La finance n’est pas sur une autre planète, parce que la crise financière nous concerne tous.

L’exploration de la planète financière nécessite de gros moyens d’investigation. Comment Finance Watch s’investira dans ce lobbying ?

C’est une organisation européenne, qui rassemble à Bruxelles syndicats, ONG, associations de consommateurs et d’investisseurs. Mais aussi des personnalités qui ont une expérience forte en matière financière. Parmi les experts, on comptera Stephany Griffith-Jones, de l’université de Columbia, auteure de plusieurs ouvrages avec le prix Nobel Joseph Stiglitz, et d’anciens professionnels de la finance comme Philippe Loumeau, ancien dirigeant de la Bourse de Montréal, l’idée étant d’associer deux types de profils qui n’ont pas les mêmes compétences.

Quels seront les premiers dossiers de Finance Watch ?

Ce n’est pas à moi, en tant que député européen, de fixer les priorités de Finance Watch, mais il me semblerait logique qu’elle se concentre sur les législations en cours de discussion et celles à venir sur les produits dérivés, les règles qui encadrent les transactions sur les Bourses, la révision des normes qui définissent les risques que les banques ont le droit de prendre, le mécanisme de résolution des crises bancaires… À quoi s’ajouteraient des sujets comme la taxe sur les transactions financières et les paradis fiscaux.

Vous avez obtenu un parrainage exceptionnel…

L’un des plus grands philosophes européens, Jürgen Habermas, a accepté d’être le parrain de Finance Watch. Ce qui l’intéresse, c’est le problème de confiance et de qualité du débat démocratique dans un champ important pour l’ensemble de la société. Les politiques publiques subissent une pression énorme de l’industrie financière, et cela rend impossible la confiance dans la démocratie représentative. Habermas voit bien que la finance de marché débridée a un impact majeur sur les politiques publiques, le modèle social. Cela nourrit tous les populismes et tous les fantasmes.

Disposer d’un contre-pouvoir, qui certes ne va pas régler tous les problèmes, est important pour éviter de telles dérives. Imaginez le débat sur le nucléaire sans Greenpeace : ce serait d’une opacité absolue, le copinage sans aucun compte à rendre. C’est ce qu’on voit aujourd’hui en matière financière.

Temps de lecture : 4 minutes