Fraude sociale contre fraude fiscale

Vincent Drezet  • 14 juillet 2011 abonné·es

La fraude aux prestations sociales et travail non déclaré , l’un des chantiers permanents du gouvernement, fait régulièrement parler d’elle : la dernière actualité en date est la sortie en juin 2011 d’un rapport de l’Assemblée nationale qui a donné lieu à des commentaires discutables.
Les milieux conservateurs sont particulièrement actifs sur le sujet car ils sont très « intéressés ». Ils entretiennent la confusion entre redistribution et fraude sociale, d’une part, et fraude sociale et fraude fiscale, d’autre part, et mélangent ainsi les notions de redistribution (« les dérives de l’assistanat, cancer de la société » pour Laurent Wauquiez), de fraude aux prestations sociales (le fait de « voleurs » pour Xavier Bertrand) et de fraude sociale liée au travail non déclaré (mais avec une approche principalement tournée vers la lutte contre l’immigration irrégulière, alors que le travail non déclaré comporte bien d’autres aspects). L’objectif est de discréditer le modèle social actuel afin de favoriser son rejet pour, ensuite, imposer d’autres vues (réduire la couverture sociale et faire une plus grande place aux acteurs privés, par exemple). Cette confusion des genres permet également de minimiser les enjeux fiscaux (l’injustice du système fiscal, l’évasion fiscale…) et de réduire la question de la fraude à la seule fraude sociale. Au sein des milieux « libéraux-conservateurs », se développe même un discours bienveillant à l’égard de la fraude fiscale sur la base d’une lecture anti-État et anti-impôt. Pour eux, si la tolérance « zéro » s’impose en matière de fraude sociale, la fraude fiscale est le fruit d’une pression fiscale jugée trop élevée, ce qui la rend excusable…



Il faut sortir de cette confusion et rétablir les vrais enjeux. Tout d’abord, contrairement à ce que laissent penser ces déclarations, l’immense majorité de la fraude sociale procède de la fraude aux cotisations sociales et non de la fraude aux prestations sociales. Par ailleurs, la fraude fiscale est plus injuste et plus coûteuse. Pour le ministère du Travail, la fraude aux prestations sociales est comprise entre 540 et 808 millions d’euros : sur 60 milliards de prestations versées par an, la fraude représente donc 0,9 % à 1,35 % des prestations versées. La fraude aux cotisations sociales, qui provient du travail non déclaré, est estimée entre 15 et 18 milliards d’euros par l’Assemblée nationale. Enfin, la fraude fiscale est pour sa part nettement plus élevée : pour la Commission européenne, elle représente de 2 à 2,5 % du produit intérieur brut — soit 40 à 50 milliards d’euros par an, parmi lesquels plus de 15 milliards d’euros de fraude fiscale internationale [^2], ce qui représente tout de même 12 à 15 % des recettes fiscales.



Si des traits communs existent entre les différentes formes de fraude (elles ont certains points communs comme le travail non déclaré qui se traduit en cotisations et en impôt non versés, elles grèvent les comptes publics et elles introduisent des distorsions entre les contribuables honnêtes et les fraudeurs), un constat s’impose : la fraude fiscale dans son ensemble n’entre pas dans les priorités gouvernementales. Il y a peu, la fraude fiscale internationale avait pourtant été présentée comme un enjeu important, certaines affaires (Lichtenstein, HSBC, Bettencourt…) ayant, il est vrai, montré sa gravité et sa complexité. Quelques mesures visant à renforcer les moyens juridiques en matière de lutte contre la fraude fiscale internationale avaient même été votées fin 2009. Mais cette « page fiscale », centrée sur les paradis fiscaux, s’est bien vite refermée, et le thème de la fraude sociale a refait son apparition. Le mythe du faux RMIste (et, maintenant du « bénéficiaire-fraudeur » du RSA) est de retour alors que, pour Nicolas Sarkozy, depuis fin 2009, « les paradis fiscaux, c’est fini ». Pour autant, la fraude fiscale perdure dans toutes ses dimensions, au plan national et international. De là à dire que l’on se trompe sur les enjeux en matière de fraude et de délinquance financière…



[^2]: Estimation tirée de la Revue française des finances publiques d’avril 2010. L’Union SNUI-SUD Trésor Solidaires estime la fraude entre 42 et 51 milliards d’euros par an.

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