Le chant des bidons

Pour leur 20e anniversaire, les Nuits atypiques de Langon (33) invitent un instrument très pratiqué aux Antilles et même en France : le steel drum.

Denis Constant-Martin  • 21 juillet 2011 abonné·es
Le chant des bidons
© Perry / AFP

L’émerveillement est toujours le même chez ceux qui entendent un steel drum (« tambour d’acier », plus familièrement : pan, « casserole ») pour la première fois : comment peut-on tirer des sons si moelleux, si doux et énergiques à la fois, de ces bidons métalliques bosselés ? En fait, il s’agit d’un véritable instrument de musique, effectivement fabriqué à partir de barils de pétrole, mais retaillés selon le registre et travaillés minutieusement pour que leur surface émette des gammes chromatiques avec une sonorité vibratile aux couleurs subtiles.

Le pan a été inventé par des bricoleurs de génie issus du prolétariat de Port of Spain, à Trinidad, au tournant des années 1930-1940. Les parades de carnaval, les combats au bâton avaient toujours été accompagnés de percussions. Les groupes rivaux qui s’affrontaient recherchaient en permanence le moyen de produire les rythmes les plus complexes, pour qu’ils soient mieux entendus. Tambours, tubes de bambou, objets métalliques de récupération étaient employés, jusqu’à ce que certains s’aperçoivent que le sommet d’un bidon de pétrole ardemment frappé se marquait de creux et de bosses qui donnaient des notes différentes.
Pendant la guerre, alors que le carnaval était interdit, le procédé fut amélioré. Le jour de la victoire en Europe, les premiers steel bands défilèrent dans les rues de Port of Spain.
Les orchestres s’organisèrent, leur répertoire s’élargit et l’instrument se perfectionna, les « mauvais garçons » qui formaient les orchestres se rangèrent. En 1963, le pan entrait dans les compétitions officielles de carnaval et, en 1992, était décrété « instrument national ».


Au-delà de Trinidad, sa popularité se répandit rapidement. Dans les Antilles, d’abord : le Steel Band de Port-Louis, en Guadeloupe, fut créé en 1956 ; à Fort-de-France, des marins trinidadiens et saint-luciens le firent connaître à des musiciens qui lui donnèrent droit de cité au Service municipal d’action culturelle. Des panistes antillais vinrent jouer à Paris et sur la côte Atlantique et suscitèrent des vocations.
Parallèlement, l’anthropologue Daniel Verba consacrait sa thèse aux steel bands et réalisait en 1987 un film, Pan in A Minor, qui racontait leur histoire. En 1989, le réalisateur Alain Majani part à Trinidad et réalise pour la télévision des documentaires sur le carnaval et les steel drums (ils seront projetés aux Nuits atypiques). Le régisseur, Barthélémy Fougea, se passionne alors pour les steel bands et leur musique. De retour en France, il prend contact avec tous ceux qui commencent à s’y intéresser : Daniel Verba, le percussionniste Guillaume Kervel, le musicothérapeute Étienne Masselot.
Ensemble, ils fondent en 1993 Calypsociation, qui promeut le steel drum en France et forme l’un des meilleurs steel bands français. Aujourd’hui, on compte dans l’Hexagone une quarantaine d’orchestres, amateurs pour la plupart.


À Saint-Macaire  (33) en 1995-1996, Nicolas Terrancle crée le Pan Spirit, à l’école de musique Ardilla. Batteur au départ, il découvre le pan grâce à son professeur de percussions, qui avait entendu des musiciens antillais. Le groupe de Saint-Macaire se fait connaître dans la région ; certains de ses membres rejoignent l’orchestre de Calypsociation pour le premier concours européen des steel bands de La Villette, en 2001, à la suite duquel ils sont qualifiés pour aller au « championnat du monde » de Trinidad. Comme tous les groupes amateurs, Pan Spirit évolue au gré des générations qui se succèdent, mais la manière de travailler ne change pas.
 « J’ai commencé à apprendre le steel drum comme ça se fait à Trinidad, de mémoire, raconte Nicolas Terrancle. Et c’est de la même manière que je l’enseigne. L’oralité permet d’être plus sensible à ce qui se passe dans le groupe : on écoute ce que fait l’autre, on regarde ce que fait l’autre. Le steel drum est un instrument de percussion mélodique mais il reste un instrument de percussion et demande beaucoup de précision rythmique, et l’écoute mutuelle est capitale pour qu’un orchestre soit bien en place. »
 Nathalie Agnès, membre de Pan Spirit, est professeure de musique au collège et au lycée de Bazas ; elle y a organisé des ateliers de steel drum, puis a intégré l’instrument dans ses cours. « C’est très important que les élèves fassent attention à ce que joue le groupe : ils se calent, ils arrivent à se reconnaître sur une phrase, une mélodie, un rythme. Dans mes cours : au lieu de faire une petite mélodie à la flûte, on la fait au steel drum, et on associe les flûtes aux steel drums. »


A l’école ou non, commencer le steel drum ne demande aucune connaissance musicale préalable. Très rapidement, on peut jouer en groupe. « L’instrument, souligne Nicolas Terrancle, est aussi exigeant qu’un autre, il peut conduire à apprendre le solfège mais il ne le demande pas au préalable. Il permet de retrouver l’âme de la musique et il donne tout son sens à la pratique amateure. Il procure le plaisir de faire de la musique ensemble tout en réclamant beaucoup d’engagement. »
 Pour Nathalie Agnès, le steel drum a un grand intérêt pédagogique : « C’est un instrument qui permet aux élèves de jouer rapidement, d’être à l’écoute des autres, de découvrir des répertoires divers, parce qu’on peut faire de tout, rock, reggae, classique, calypso, jazz. C’est ça qui est important aujourd’hui. On peut l’allier à d’autres instruments et à la pratique corporelle, ce qui plaît aux enfants. Enfin, il entre dans la découverte des cultures du monde : j’explique comment les pans sont construits, je montre les grands steel bands trinidadiens, les chanteurs de calypso. Les élèves prennent conscience de tout ce qu’il y a derrière. »

Aux Nuits atypiques, outre Pan Spirit de Saint-Macaire, on pourra entendre : Pan Berry de Bourges, le Tropique du Cancer de Toulouse, l’orchestre de Calypsociation, le groupe déambulatoire Acousteel Gang et l’un des meilleurs ensembles trinidadiens, les Renegades.

Calypsociation : http://www.calypsociation.com.
 Le CD *Pan People* est en vente sur le site.


- Où pratiquer le steel drum en France : 
https://sites.google.com/site/steelbandsenfrance/


– Atelier steel drum de la Cité de la musique à Paris : http://www.cite-musique.fr/francais/evenement.aspx?id=10483

Culture
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