« On va vers une crise financière mondiale »

L’Italie est le premier grand pays à être emporté dans la tourmente de la dette. Selon l’économiste Dominique Plihon, on assiste à un phénomène de contagion aux lourdes conséquences. Des sommes colossales sont parties depuis trente ans sur les marchés financiers.

Thierry Brun  • 21 juillet 2011 abonné·es
« On va vers une crise financière mondiale »
© Photo : Platt / getty

Des États-Unis à l’Union européenne, les politiques néolibérales ont mené droit dans le piège de la dette publique. Celle-ci s’est nourrie de politiques de réduction d’impôts des plus riches et de baisses des salaires des plus modestes. Des sommes colossales sont ainsi parties sur les marchés financiers depuis trente ans, créant des mouvements spéculatifs qui ont entraîné la crise de 2008, ainsi que celle de l’euro. Les remèdes à ces crises consistent à persister dans l’instauration de l’austérité budgétaire et salariale permanente et ne seront pas mis en cause lors du sommet extraordinaire des dirigeants européens prévu ce jeudi à Bruxelles. Pourtant, ces remèdes aggravent les difficultés de la zone euro. Outre-Atlantique aussi, la crise de la dette menace l’économie américaine.


Quelques chiffres -17 milliards d’euros, c’est le total des CDS (Crédit Default Swap) en cours sur l’Italie. Ces produits financiers sont à l’origine de la spéculation sur la dette italienne, française et espagnole. -14 294 milliards de dollars, c’est le montant de la dette publique américaine en mai. C’est aussi la limite fixée par le Congrès. Le Trésor américain use d’expédients pour assurer le fonctionnement de l’État. -1 152 milliards de dollars, c’est le montant des bons du trésor américain détenu par la Chine en juin, soit plus d’un tiers des réserves de change chinoises.
Pour Dominique Plihon, économiste spécialiste des systèmes monétaires et financiers, on assiste à un phénomène de contagion aux lourdes conséquences.

Politis : Les marchés financiers entraînent de nouveaux pays, telle l’Italie, dans la tourmente de la dette. Quelles sont les raisons de cette nouvelle attaque ?


Dominique Plihon : Les marchés voient une faille qui nourrit leur manque de confiance, notamment l’incapacité de se mettre d’accord sur une politique commune. Le plan de financement de la Grèce proposé par la France a été rejeté par l’Allemagne.


Dans le cas de l’Italie, l’élément important est l’affaiblissement de l’exécutif, le fait que Berlusconi et son ministre des Finances, l’homme de la rigueur, sont pris dans les scandales. L’Italie est ainsi le premier grand pays à être touché par la spéculation. Et, en Allemagne, le Bundestag bloque toute nouvelle aide aux pays en difficulté, refusant que le contribuable allemand débourse un euro supplémentaire…


Il y a peu de temps, le fardeau de la dette ne concernait que le Portugal et surtout la Grèce. Désormais, d’autres pays sont concernés. N’assiste-t-on pas 
à un phénomène de contagion ?


C’est clairement le cas, et c’était prévisible. Des petits pays pouvaient être « facilement » refinancés par le Fonds européen de stabilité financière, et on pouvait contenir la crise dans des proportions que les acteurs publics et les marchés pouvaient juger raisonnables. Désormais, de grands pays sont touchés : l’Espagne, l’Italie, voire la France. On change d’échelle. Le Fonds européen de stabilité financière n’est plus à la bonne taille, et les fondements même de la zone euro sont ébranlés.


Cette contagion touche-t-elle également les États-Unis ?


L’autre grand pôle de la finance internationale, les États-Unis, est en pleine tourmente, certes pour des raisons institutionnelles et politiques différentes. Une bagarre très dure menée entre les Républicains et les Démocrates, les premiers ayant la majorité au Congrès, bloque un accord pour relever le plafond de la dette publique. Si, le 2 août, il n’y a pas d’accord (voir chiffres), il y aura un défaut de paiement des États-Unis, a annoncé l’administration Obama. Le gouvernement ne pourra plus payer ses dépenses, ses fournisseurs, fonctionnaires, financiers devront accepter un rééchelonnement de la dette, c’est-à-dire un retard de remboursement. Cela n’était jamais arrivé aux États-Unis dans la période récente. 
La crise de la dette se mondialise. Avec les deux grands pôles de la finance mondiale en crise, c’est le fondement du système monétaire international qui est ébranlé. Le dollar étant la monnaie principale du système international, cela va créer une vague d’inquiétude et de défiance. Nous sommes dans l’inconnu. On peut s’attendre à une crise très profonde : les investisseurs, paniquant, vont essayer de se défausser d’une partie de leurs avoirs et s’ils le font avec le dollar, cela veut dire une baisse brutale de celui-ci et donc des mouvements brutaux entre le dollar et l’euro. Cela pourrait devenir incontrôlable.


Est-ce que se dessinent les prémices d’une nouvelle crise financière mondiale ?

Oui. Les principales monnaies du système monétaire international sont contestées et ne remplissent plus leur rôle d’actif principal pour les placements et pour les investisseurs. C’est une mise en cause complète du fonctionnement des États néolibéraux. Ces États pensaient que des politiques très dures, en matière d’austérité budgétaire, salariale, etc., suffiraient pour régler la crise et pour redonner confiance aux marchés. En fait, ces politiques ne peuvent qu’enfoncer les pays dans la crise. Paradoxe : les États mènent des politiques excessives en matière d’austérité et manquent de fermeté à l’égard des marchés. S’ils frappaient aussi forts du côté des marchés, il y aurait sans doute moyen à reprendre la situation main. Mais les gouvernements et la Banque centrale européenne (BCE) ne veulent pas déplaire aux marchés. Par exemple, il serait possible que la BCE intervienne beaucoup plus vigoureusement pour casser les ailes des spéculateurs.


Quelle décision faudrait-il prendre rapidement ?


Une coordination transatlantique. Il faudrait que les grands argentiers se réunissent vite pour prendre des décisions communes, par exemple que les banques centrales interviennent conjointement sur le marché des changes [^2] pour le stabiliser. Pour le moment, il n’en est pas question. Il faudrait pourtant une forte volonté politique, absente jusqu’à maintenant, des gouvernements et des institutions financières internationales pour mettre enfin en œuvre une réforme destinée à encadrer les acteurs financiers. Les autorités publiques seront contraintes d’agir si la crise s’aggrave.


[^2]: Le cours d’une monnaie par rapport à une autre, c’est-à-dire son taux de change, varie en permanence sur les marchés des changes.

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