Rendre les outils aux États

Selon Aurélie Trouvé et Jean-Christophe Kroll, les pays doivent impérativement redevenir maîtres de leurs politiques agricoles.

Jean-Christophe Kroll  et  Aurélie Trouvé  • 14 juillet 2011 abonné·es

Prétendre justifier la libéralisation des échanges agricoles et alimentaires, et le démantèlement des politiques agricoles pour accroître la prospérité collective procède d’un contresens complet : en dépossédant les États des outils de régulation de leurs marchés domestiques, la libéralisation des échanges alimentaire débouche sur des relations économiques de plus en plus conflictuelles où tous les coups sont permis (subventions massives aux agrocarburants, dumping fiscal et social, achat massif de terres agricoles dans les pays pauvres, etc.).


En matière alimentaire, l’angélisme du discours libéral est en profonde contradiction avec le développement actuel des tensions entre États. Si les négociations internationales sont bloquées et qu’un accord agricole se révèle si difficile, c’est parce que la plupart des États en négociation ont plus à y perdre qu’à y gagner, et que les bienfaits à attendre de la libéralisation des échanges agricoles sont bien trop hypothétiques pour que les protagonistes se résolvent à lâcher la proie pour l’ombre.


C’est d’ailleurs ce que confirment tous les modèles, y compris ceux mobilisés par les instances multilatérales, qui annoncent des niveaux d’augmentation du bien-être mondial dérisoires en regard de la précision des modèles, et sans aucune commune mesure avec les enjeux sociaux et géostratégiques en cause. La sécurité alimentaire, comme l’accès à l’eau et à l’énergie, constitue un enjeu dont les États ne peuvent se défaire impunément.


Or, la libéralisation des échanges alimentaires prive les pays des outils de politique agricole dont ils ont besoin pour protéger les revenus et les investissements de leurs producteurs, maîtriser les marges des transformateurs et des distributeurs, assurer la régularité d’approvisionnement des consommateurs à des prix raisonnables, dans des conditions sociales et environnementales acceptables. 


La libéralisation des échanges agricoles se révèle une source nouvelle d’instabilité géopolitique. L’alternative la plus raisonnable aux dérèglements actuels réside dans l’exercice de la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit de chaque pays ou région à définir ses politiques agricoles selon ses propres besoins, sans porter préjudice aux pays tiers. Un droit fondé sur la solidarité et la coopération sous l’égide des Nations unies.


Les vingt pays qui négocient au G20 en sont loin. D’un côté ils prétendent répondre à la spéculation, de l’autre ils réclament un accord rapide à l’OMC pour une dérégulation encore plus importante des échanges, la cause précisément de la volatilité des prix. Ils en appellent à un développement des investissements dans l’agriculture mais écartent toute politique susceptible de sécuriser l’avenir des agricultures paysannes. Ils continuent de démanteler leurs propres outils de régulation, comme l’Union européenne, qui réforme sa politique agricole commune en ce sens.

Les crises alimentaires récentes ne débouchent sur aucune prise en compte réelle du problème dans l’agenda politique. Les promoteurs du néolibéralisme qui sévissent depuis trois décennies dans la recherche, les médias et les instances internationales persévèrent dans leurs errements. Rendront-ils compte un jour de leur irresponsabilité ?

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Un milliard de crève-la-faim
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