Les tués kanaks de Maré …

… entre conflit social et rivalités tribales.

Bernard Langlois  • 8 août 2011
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Quatre morts dans une échauffourée entre Kanaks, sur l’île de Maré (Nengone en langue autochtone), une des Loyautés.

Île “paradisiaque”, comme disent les dépliants touristiques — et c’est vrai !

Du reste, toute la Nouvelle-Calédonie est paradisiaque, (sauf peut-être Nouméa : trop blanche, trop riche, trop embouteillée, trop “capitale”, certes modeste, mais capitale quand même).

Et les îles qui flanquent la Grande-Terre le sont particulièrement.

Mais voilà : y vivre à demeure, quand on est Kanak et pauvre, n’est pas vraiment idyllique : les tribus , écartelées entre une culture ancestrale qui s’effiloche et les exigences d’une modernité

Illustration - Les tués kanaks de Maré …

à laquelle aspire une jeunesse qui se cherche sans se trouver, ne sont pas au paradis. Vie chère et chômage, comme partout. Exode vers la capitale, et ses bidonvilles ; et — nous y voilà — problèmes de transport : seul l’avion, pour assurer les liaisons vitales. Une (petite) compagnie nationale, Aircal, avec ses deux ou trois zincs (à hélice) pour faire la navette entre les îles et Nouméa : elle affiche un déficit chronique et offre des prestations trop chères pour des usagers captifs et désargentés.

Alors ça râle, ça polémique, ça manifeste depuis des années, avec des poussées de fièvre et des accalmies.

Samedi c’était la fièvre, et le petit aéroport de Maré subit un blocage complet, puis un … déblocage musclé : quatre morts, 23 blessés.

« Agression contre les usagers en colère par une milice patronale », dénonce le puissant syndicat USTKE, à la pointe du combat depuis des lustres.

« Affrontement entre tribus rivales », assure le Haut Commissaire (le “haussaire”, comme on dit là-bas), qui doit venir de Nouméa ce lundi pour calmer les esprits (il semble que la tension soit retombée, après une médiation réussie des autorités religieuses.)

A la vérité, c’est un peu des deux.

Car le PDG d’Aircal, originaire de Maré, une des figures historiques

Illustration - Les tués kanaks de Maré …

du combat indépendantiste kanak, marxiste de formation,fondateur du LKS (une des composantes du Front) Nidoïsh Naisseline, élu territorial, est aussi chef coutumier (héréditaire) [^2] d’une des tribus parmi la trentaine qui se partagent, en plus ou moins bonne intelligence, ce territoire îlien pas bien grand.

Pour vous donner une idée du poids des règles coutumières dans la vie kanak, cette anecdote : lors du tournage, il y a une dizaine d’années, d’un long documentaire sur les années Tjibaou [^3], l’équipe passe par Maré, où nous étions invités au mariage de la fille du maire de l’île (membre d’une autre tribu que celle de Naisseline), avant de rencontrer ce dernier chez lui. Pour cet entretien, le rendez-vous était fixé (Naisseline voyageait du reste dans le même avion que nous, de Nouméa à Maré, et nous avions déjà échangé quelques mots) ; mais la coutume voulait que nous nous présentions d’abord chez le chef de la première tribu (où nous avions tourné la cérémonie du mariage, vous suivez ?) pour que ce soit lui qui organise formellement, selon les règles, la rencontre avec le chef rival …

Bien sûr, nous aurions pu nous passer de cette complication, mais c’eût été grossier !

Tout ça pour dire que ce qui vient de se passer dans ce petit paradis de Maré relève certes du conflit social classique (et violent, comme souvent sur le Caillou calédonien), mais que l’aspect tribal a probablement aussi un peu à y voir.

(Et pardon d’avoir été long, mais c’est compliqué, la réalité de ce confetti de l’empire !)

[^2]: il vient tout juste, à 65 ans, de passer la main à son fils.

[^3]: Jean-Marie Tjibaou ou le rêve d’indépendance , de Mehdi Lallaoui, 2000.

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