Allemagne : biogaz en surchauffe

La production d’électricité par méthanisation, favorisée outre-Rhin par des tarifs avantageux, débouche sur une cuture intensive du maïs, céréale peu écologique, et pose les mêmes problèmes que les agrocarburants.

Rachel Knaebel  • 29 septembre 2011 abonné·es
Allemagne : biogaz en surchauffe
© Photo : AFP / Hartmann / ddp

Après les agrocarburants, le biogaz ! La concurrence entre l’énergie et l’assiette a bien débarqué sur les terres européennes. En Allemagne, cette technologie de production d’électricité verte s’est implantée à grande vitesse, portée depuis 2000 par des tarifs très avantageux fixés dans la loi de soutien aux énergies renouvelables « EEG ». Le pays est passé d’un millier d’unités de production de biogaz agricole en 2000 à près de 6 000 aujourd’hui, pour une puissance installée totale de 2 300 mégawatts (MW). La filière a produit plus de 2 % de la consommation électrique allemande en 2010. Mais elle est de plus en plus contestée… par les écologistes et même par les agriculteurs.


L’idée initiale est pourtant unanimement soutenue : il s’agit de produire à la ferme du biogaz par fermentation des déchets agricoles, dont le résidu peut-être plus facilement épandu sur les terres agricoles comme amendement. Le biogaz (du méthane) est ensuite brûlé dans un moteur pour produire de l’électricité, vendue au réseau à un tarif préférentiel qui a été fixé à un niveau incitatif par les pouvoirs publics. Une filière gagnante à trois titres : traitement des déchets, meilleure valorisation agricole, production d’énergie verte. Mais seulement sur le papier…
Dans la pratique, les installations tournent à 90 % au maïs, à des taux variables. Sur 2,5 millions d’hectares produisant cette céréale en Allemagne (21 % des surfaces cultivées), plus de 600 000 hectares sont dédiés au « maïs-biogaz » contre 160 000 en 2006. Dans certains cantons de Basse-Saxe, cette culture énergétique atteint 50 %. « Les mouvements anti-biogaz se multiplient pour protester contre la poussée de cette monoculture, constate Reinhild Benning, du département d’agriculture de Bund (les Amis de la Terre Allemagne). Le maïs favorise l’érosion des sols, demande beaucoup d’engrais et toujours plus de pesticides. »


La rémunération très attractive du biogaz, garantie par l’État, accroît fortement la pression sur les sols agricoles. Leur valeur grimpe. Les tarifs allemands des fermages ont presque doublé en quelques années, et peuvent aujourd’hui dépasser 1 000 euros/ha/an.


La dernière version de l’EEG, votée en juillet pour entrer en vigueur en janvier 2012, a pris en compte le problème du maïs : elle prescrit d’en limiter la part à 60 % de la masse de produits fermentescibles injectée dans l’installation, afin que les tarifs d’achat baissent de 10 à 15 %. « Ces mesures devraient freiner le développement actuel », prédit Udo Hemmerling, du groupement des agriculteurs allemands DVB.


En revanche, les petits exploitants laitiers et porcins, dont la méthanisation des déjections animales n’induit pas les dérives constatées chez les maïsiculteurs, sont favorisés par la nouvelle loi, à condition que la puissance des unités de biogaz soit inférieure à 75 kW (correspondant à une petite ferme allemande — jusqu’à 200 vaches cependant).


L’EEG 2012 oblige également les exploitants à utiliser la plus grande partie de la chaleur produite par le processus de fermentation, ce qui améliore le rendement énergétique des installations. Un progrès. Mais les exploitations qui utilisent plus de 60 % de lisier en sont dispensées, déplore Reinhild Benning : « C’est une faveur faite aux éleveurs industriels. »


Le texte donne aussi un bon coup de pouce à la rémunération de l’électricité des très grandes unités industrielles (jusqu’à 20 MW). Cette manne financière attire de plus en plus de capitaux étrangers au monde agricole, alors que le soutien au biogaz était initialement conçu pour assurer un complément de revenu stable aux agriculteurs.


À Penkun, près de la frontière polonaise, on quitte l’univers de la ferme. L’investisseur Nawaro Bioenergie fait fonctionner, en grande partie au maïs, une installation de 20 MW, fractionnée en 40 unités de 500 kW interconnectées, afin de bénéficier par la bande d’un tarif d’achat de son électricité plus élevé de 63 %, en principe réservé aux installations fermières ne dépassant pas 500 kW !


Au rang des critiques, Friedhelm Taube, agronome à l’université de Kiel, s’interroge sur le bon usage des deniers publics : « C’est une technologie chère pour la lutte ­climatique : la tonne de CO2 évitée par le biais du biogaz coûte 300 euros, contre 20 euros quand l’État finance la rénovation énergétique des bâtiments. »


Quant aux producteurs bios de biogaz, la nouvelle EEG va leur compliquer encore la vie. Ils sont environ 260, selon le groupement Bioland, « et précurseurs en la matière, dès les années 1970 », indique l’agronome Torsten Siegmeier, auteur d’une étude sur le biogaz bio à l’université de Kassel. « Leurs installations sont aujourd’hui difficilement rentables, et ça va empirer », s’inquiète Gerald Wehde, de Bioland. Car les bios utilisent dans leurs installations beaucoup d’ensilage d’herbe et de trèfle. « Or, la nouvelle EEG classe le trèfle dans la même catégorie que le maïs pour la rémunération. C’est une erreur, la loi est passée très vite au Parlement, lors de la décision de sortie du nucléaire. »


Pour l’instant, l’EEG ne valorise pas non plus le label bio dans le biogaz. Les trois grands groupements d’agriculteurs bios (la quasi-totalité de la branche) ont tout de même adopté des prescriptions : au moins 70 % de substrats d’origine biologique aujourd’hui, 100 % d’ici à 2020. « Nous voulons favoriser un modèle coopératif entre différents types d’exploitations et sans concurrence des sols avec l’alimentaire, poursuit Gerald Wehde. Mais, vu les conditions économiques actuelles, un agriculteur investira toujours dans le biogaz plutôt que dans l’agriculture biologique. »


Les défenseurs de l’environnement regardent du côté des plantes sauvages pour contrer les excès du gaz vert. L’université de Bayreuth étudie les performances d’une dizaine d’espèces de vivaces (mauve de Virginie, faux chanvre, silphium…). « Quelques-unes ont donné de très bons résultats, indique Pedro Gerstberger, directeur du projet. Leur rendement peut atteindre 18 tonnes de masse sèche par hectare, contre 13 tonnes pour le maïs, avec seulement 5 % de perte de productivité pour le gaz. » L’investissement de départ : près de 3 000 euros par hectare. « Mais après, il n’y a plus de coût : ni pesticide ni travail supplémentaire. Il ne reste qu’à récolter. »


Écologie
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