Ceci est plus qu’un film

Jafar Panahi, condamné par le régime iranien, et Mojtaba Mirtahmasb, en prison depuis peu, ont réalisé « Ceci n’est pas un film », éblouissant de courage et d’intelligence.

Christophe Kantcheff  • 29 septembre 2011
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C’est la première image de Ceci n’est pas un film  : dans sa cuisine, face caméra, tout en prenant son petit-déjeuner, Jafar Panahi compose un numéro sur son téléphone portable. Il échange quelques mots avec un homme, l’avertit qu’il préfère ne rien dire au téléphone, lui demande de venir chez lui. Cet homme s’appelle Mojtaba Mirtahmasb, un ami documentariste. Ils vont faire ensemble Ceci n’est pas un film, qui s’annonce comme une gageure puisqu’il consiste à montrer, sans sortir de l’appartement de Jafar Panahi, 24 heures de la vie du cinéaste iranien, à qui la justice a retiré le droit de faire son métier pendant vingt ans.


Jafar Panahi, comme on le sait, a été condamné à cette peine, en plus de six ans d’emprisonnement, parce qu’il était suspecté de préparer, avec Mohammad Rasoulof [^2], un film contre le régime d’Ahmadinejad. Il attend aujourd’hui son procès en appel. Dans Ceci n’est pas un film, il parle avec son avocate, qui ne se montre pas très optimiste. Il faudrait que s’expriment des pressions à l’intérieur du pays, de la part des cinéastes iraniens, par exemple. Mais Jafar Panahi ne veut pas mettre ses confrères dans une situation délicate.


Au festival de Cannes, Mojtaba Mirtahmasb est venu présenter Ceci n’est pas un film, en dépit de ce qu’il risquait à son retour en Iran. Or, il y a quelques jours, avec cinq autres réalisateurs et une productrice, il a été arrêté et incarcéré à la prison d’Evin, à Téhéran. Raison officielle : ils seraient « des correspondants de la BBC ». Dans le dossier de presse, cette phrase de Mojtaba Mirtahmasb résonne aujourd’hui plus vivement encore : « Nous préférons être des hommes libres que des héros emprisonnés. Nous ne sommes pas des combattants politiques. Nous sommes des réalisateurs. »


« Nous sommes des réalisateurs »Ceci n’est pas un film est comme l’acte d’accomplissement de cette revendication d’identité. Plus encore : par son dénuement et sa nécessité, le film retrouve l’essence du geste cinématographique, son origine. Ici, esthétique et politique sont plus que jamais indissociables.
Ainsi, chaque séquence envisage des questions fondamentales de cinéma. Par exemple, réduit à raconter le scénario d’un film pour lequel il avait déjà fait les repérages, Jafar Panahi en réinvente la mise en scène. Sur le tapis de son salon, avec quelques menus ustensiles, une chaise, un coussin, un ruban de papier adhésif, il décrit les plans, les mouvements des personnages. Ce pourrait être dérisoire, c’est lumineux. Même si les moments d’abattement affleurent : « Si on peut raconter un film, à quoi bon le réaliser ? », murmure-t-il, avant de se reprendre.


De la même manière, le cinéaste met en exergue les pouvoirs du hors-champ quand il s’embarque, caméra au poing, dans l’ascenseur avec le jeune homme qui vient chercher les poubelles à chaque étage de l’immeuble. La scène, dès lors, raconte deux histoires simultanées : celle qui est à l’écran — le dialogue entre le garçon et Jafar Panahi — et une autre, hors champ, quand le jeune préposé aux poubelles sonne aux portes et converse avec les locataires, le cinéaste restant caché dans l’ascenseur.


Huis clos sous contrainte, Ceci n’est pas un film témoigne d’une inventivité formelle toujours en éveil, facilitée par les images réalisées par les petites caméras et les téléphones portables. Pourtant, interdit de tournage, se projetant crânement dans le prochain film, revisitant certains aspects de ses films anciens, Jafar Panahi est un homme inquiet, que l’on voit assis dans son canapé, l’ordinateur portable sur les genoux, l’i-Phone à la main, parfois en bisbille avec l’iguane domestique qui se balade dans l’appartement, ce qui ajoute des instants comiques à ce film décidément sans pareil.
Ceci est plus qu’un film. Du sacré cinéma de résistance, éblouissant de courage et d’intelligence. Le film se termine alors que, dehors, la Fête du feu bat son plein, bien que le régime l’ait déclaré « non religieuse ». Mais la jeunesse iranienne n’en a cure. Une note d’espoir dans l’adversité ?


[^2]: L’auteur d’ Au revoir, sorti sur les écrans français le 7 septembre. Voir Politis n° 1167.

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
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