Fralib : l’Éléphant fait le dos rond

Les salariés de Fralib, qui produit le « Thé de l’Éléphant » près de Marseille, mènent une bataille
contre le géant de l’agroalimentaire néerlando-britannique Unilever. Ils veulent sauver leur usine.

Sébastien Boistel  • 15 septembre 2011 abonné·es

«Boycott Lipton ! Non à la fermeture de Fralib ! »  : à mesure que l’on se rapproche de Gémenos, près de Marseille, les affiches se multiplient. À l’entrée, une banderole : « Usine occupée ». Une tête surgit. Celle d’une salariée jouant les vigies. Fin août, un an après avoir annoncé vouloir fermer sa dernière usine de conditionnement de thé en France, le géant de l’agroalimentaire néerlando-britannique Unilever a envoyé les premières lettres de licenciement. Depuis, craignant son démantèlement et refusant qu’après cent dix-neuf ans le « Thé de l’Éléphant » ne quitte la Provence, les « Fralib » occupent « leur » usine.


Sur le parking, des mômes. Dans un coin, une table de ping-pong, un barbecue. Les salariés se relaient 24 heures sur 24. Au frontispice de l’édifice, une mosaïque rappelle que la devise du pachyderme était « force » et « bonté ». L’ambiance a changé, comme en témoigne cette opératrice regrettant l’absence du PDG : « Dommage ! On avait tout prévu pour le recevoir. Il doit en avoir marre des œufs. »


Unilever a attaqué en diffamation les représentants syndicaux pour un tract. La semaine dernière, le tribunal de Nanterre a débouté la multinationale. Fortes de cette victoire, une cinquantaine de personnes se sont rendues à l’Assemblée nationale et au siège social d’Unilever, pour remettre la centaine de lettres de salariés s’engageant à poursuivre l’activité. « Le siège d’Unilever, c’était un véritable terrain militaire, raconte un membre de la délégation. Si l’État assure qu’il ne peut rien pour nous, ça ne l’empêche pas de nous envoyer les flics ! »


Emblématique : lors de son passage à Marseille cet été, le ministre de l’Industrie, Éric Besson, n’a pas fait un crochet par Gémenos. « Il a attendu que les lettres de licenciement arrivent pour dire qu’il ne pouvait rien faire », peste le secrétaire du CE, Gérard Cazorla. Toutefois, d’ici à la fin du mois, devrait se tenir une réunion entre les salariés, Unilever, le gouvernement et les ­collectivités. « En période électorale, lâche le délégué CGT, 182 chômeurs de plus, ça fait tache… »


Depuis des mois, à l’usine, ** c’est le défilé : François Hollande, Eva Joly, Philippe Poutou… « Ce n’est pas facile à gérer, reconnaît le syndicaliste. Mais, avec les politiques, on est clairs. On n’est pas là pour leur campagne mais pour du concret. Pas du symbolique ! »


Avec l’aide du conseil régional, les « Fralib » ont monté un dossier de reprise de l’usine. Pour cela, il faut reconstruire ce qu’Unilever a démantelé : en amont, l’approvisionnement en matière première et son aromatisation ; en aval, la distribution et la commercialisation. Les salariés réclament que la multinationale leur cède, pour « un euro symbolique », la marque et l’usine, exigeant en outre une aide de 300 millions d’euros. « Soit la somme qui, depuis 2007, expliquent les syndicats, a échappé au fisc », Unilever ayant installé en Suisse une filiale ad hoc chargée d’encaisser les dividendes.

Quant à la structure juridique, elle reste à définir : « Ce qui est sûr, martèle le patron du CE, c’est que le collectif des salariés aura un droit de regard sur la stratégie économique et sociale. » Irréaliste, pour Unilever, qui dénonce un projet « vide de sens ». Malgré les contacts des salariés avec plusieurs repreneurs potentiels. Malgré l’expertise ayant jugé le site rentable. Car, si les coûts salariaux ne représentent que « 16 centimes d’euros par boîte de 25 sachets », dixit la CGT, la productivité, en vingt ans, a augmenté de 50 %. « Avant, on était des créateurs de richesse. Aujourd’hui, on est des coûts salariaux », déplore Bernard, un « ancien », aujourd’hui à la retraite, qui ne cache pas sa fierté devant des machines « increvables et prêtes à tourner ». Quand on lui parle de Netcacao — cette chocolaterie industrielle marseillaise qui vient de déposer le bilan –, il rétorque : « Malgré le désengagement de Nestlé, ils ont tenu six ans ! Ce n’est pas rien… »


Gérard Cazorla ajoute : « On aurait pu menacer de tout faire péter. On fait le choix d’une action sur la durée. Même si la lutte, ça fait vieillir plus vite. » Quand il est arrivé, il y a vingt ans, du Havre, où Unilever venait de fermer son usine, Gérard Affagard, de la CGC, pensait finir sa carrière à Gémenos. Marie aussi pensait déjà à la retraite. Elle a commencé à 16 ans. Elle en a 57. Pas question d’accepter un reclassement à Bruxelles ou en Pologne : « À mon âge, je ne retrouverai pas de boulot. Alors je viens de signer un nouveau CDI. L’occupation à durée indéterminée de l’usine ! Mon usine ! »


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