« Le mal-logement s’accroît »

Paris a éradiqué les immeubles insalubres mais n’arrive pas à répondre aux demandes d’habitat social. L’analyse de la sociologue Pascale Dietrich-Ragon*.

Ingrid Merckx  • 8 septembre 2011 abonné·es

Politis : Vous avez enquêté auprès de plus de 500 mal-logés à Paris. Qui sont-ils ? 


Pascale Dietrich-Ragon : Auparavant, les occupants de logement insalubres présentaient un handicap social fort, la question du mal-logement recoupait celle de l’exclusion. Aujourd’hui s’ajoute une nouvelle frange de la population qui travaille et est insérée socialement, mais n’arrive plus à se loger dans des conditions décentes. La crise du logement s’élargit.
Pour la majorité des mal-logés, mieux vaut cependant un logement insalubre à Paris qu’un logement correct en banlieue. Ils pensent avant tout au destin scolaire de leurs enfants et à la qualité du voisinage, et estiment qu’aller en banlieue, c’est se mettre encore plus en danger socialement. Tous les enfants que j’ai vus étaient scolarisés. Mais ils souffraient de problèmes de santé et d’un profond mal-être entraînés par la suroccupation et les problèmes de leurs parents. Le mal-logement a des répercussions sur l’ensemble de la vie sociale.

Certains se sont-ils retrouvés sans logis ?


Très peu. 80 % étaient d’origine immigrée, une population qui échappe en grande partie au sans-abrisme grâce aux réseaux communautaires. 20 % étaient sans papiers, donc sans espoir d’intégrer le parc social à moins d’être régularisés. De vraies proies pour les marchands de sommeil. L’insalubrité est aujourd’hui très liée à la politique migratoire. La mairie de Paris a fait de gros efforts pour les familles de sans-papiers, mais ce dispositif quasi humanitaire exclut notamment les hommes seuls et célibataires.


Comment obtenir un logement social à Paris ?


Il existe différents types de logements sociaux. Ceux qui sont destinés aux plus pauvres sont en nombre totalement insuffisant pour faire face à la demande. Ceux pour les classes moyennes sont certes moins chers que sur le marché privé, mais encore trop pour des familles très défavorisées.


Pour les différents types de logements sociaux, ce ne sont pas les mêmes files d’attente. La ville a consacré 50 % de ses relogements aux occupants des logements insalubres. Il ne reste pas grand-chose pour les publics non prioritaires, pour qui c’est la loterie : 40 000 nouvelles demandes en logement social tous les ans pour 8 000 logements attribués dans la capitale. L’insalubrité, c’est la face noire, la plus extrême, mais le mal-logement va bien au-delà.


Quelles tensions avez-vous observées ?


Les personnes prioritaires peuvent se montrer très exigeantes car elles attendent parfois depuis vingt ans. D’autres tensions sont générées par les personnes non relogées. Souvent, elles travaillent, et ne comprennent pas l’injustice qui leur est faite : on leur a toujours vendu qu’en travaillant elles auraient un logement de qualité. Ce contrat social brisé provoque une révolte contre les institutions et contre les mal-logés relogés.


La fonction du logement insalubre, c’était d’attendre une place dans le parc « ordinaire ». Aujourd’hui, ceux qui s’y trouvent n’arrivent à se loger ni dans le parc privé ni dans le parc social. Le sas s’éternise… 


L’insalubrité a-t-elle été éradiquée dans la capitale ?
 Il en reste. Les 10 000 logements du plan de lutte contre l’insalubrité mis en place par Bertrand Delanoë à son arrivée au pouvoir en 2002 ont été résorbés. Mais ce plan réalisé par la Société immobilière de la ville de Paris (SIEMP) ne concernait que les immeubles entiers.
L’insalubrité diffuse — un seul logement dans un immeuble par ailleurs en bon état — est passée à travers. En outre, l’insalubrité se décale vers la banlieue, elle se recrée ailleurs. Le saturnisme, maladie du plomb qui en découle, est un des problèmes les mieux pris en charge par les institutions, mais la tuberculose, les affections respiratoires ou dermatologiques liées à l’insalubrité sont peu considérées.


Du fait de la focalisation quasi exclusive sur l’urgence sanitaire, les gens ont l’impression qu’il leur faut tomber le plus bas possible pour accéder au relogement. Mon enquête s’arrête en 2007, au début du Droit au logement opposable (Dalo), mais celui-ci ne fait qu’ajouter un critère de priorité sans vraiment servir de levier.


Qu’en est-il des objectifs de mixité sociale ?


La mixité sociale est un objectif à défendre mais de manière massive et non sous forme de saupoudrage. Des personnes de quartiers populaires ont été relogées dans des quartiers chics.


Les plus aisées parmi elles arrivent à s’adapter, mais les plus pauvres ont d’énormes difficultés car elles prennent brutalement conscience des inégalités et perdent le lien avec la communauté et ses principes d’entraide. 


Qu’en disent les pouvoirs publics ?


Les acteurs institutionnels souffrent de devoir gérer la pénurie, qui consiste, par exemple, à devoir arbitrer entre une famille avec un enfant atteint de saturnisme ou une autre avec un enfant handicapé. On ne prend pas le problème à la racine : le logement insalubre, c’est le résultat d’un rapport social.


Or, on ne cherche la solution à l’insalubrité que dans le champ du logement alors qu’elle tient ses sources dans les inégalités de revenus et d’emploi, la politique migratoire et même la politique familiale.

Société
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