Les chasseurs : chouchous du gouvernement

Alors que démarre la saison de chasse, un lobby parlementaire très actif fait pression sur le gouvernement pour obtenir, avant les élections, encore plus d’avantages. Un loisir qui pourtant se marginalise.

Patrick Piro  • 22 septembre 2011 abonné·es
Les chasseurs : chouchous du gouvernement
© Photo : AFP / Florin

Du lièvre « à foison », du lapin « à la folie », le « grand retour » du faisan, « des densités assez exceptionnelles » de pigeons ramiers par endroits : la saison de chasse 2011-2012 s’annonce « sous de bons auspices ! », se réjouit Bernard Baudin, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). En dira-t-il autant sur un autre terrain, celui de la chasse aux privilèges ? L’Assemblée nationale et le Sénat ont entre les mains deux propositions de loi favorisant les propriétaires de terrains de chasse.
 « Deux textes jumeaux, issus du même parti, l’UMP, activement inspirés par la FNC. Une première grotesque au cours de la Ve République », s’étonne Pierre Athanaze, président de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), auteur d’un Livre noir de la chasse qui vient de paraître (voir ci-dessous).


La compétition a démarré début février avec le texte de Jérôme Bignon, président du groupe chasse de l’Assemblée nationale, suivi un mois plus tard par celui de Pierre Martin, président du groupe chasse du Sénat, au contenu à peu près identique. Adoption en première lecture pour les deux, en attente d’une inscription à l’ordre du jour de la chambre « adverse ».
La présidence du groupe chasse à l’Assemblée nationale est très convoitée, explique Pierre Athanaze, ce qui justifie toutes les rivalités et les opérations de déstabilisation.

Au cabinet de la ministre de l’Écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, on se montre embarrassé par cette concurrence entre les deux propositions. D’autant que le gouvernement compte apporter son soutien à celle de Bignon, « plus complète et plus équilibrée », ce qui devrait lui assurer d’être adoptée.


Depuis 1993, pas moins de cinq lois sont venues conforter les prérogatives des chasseurs [^2]. « Avec constance, le gouvernement les caresse dans le sens du poil, accroît le pouvoir des fédérations de chasse et de la FNC ; c’est une stratégie anti-associations écologistes », affirme Simon Charbonneau. Lui-même est chasseur et fondateur de l’Association nationale pour une chasse écologiquement responsable (Ancer), qui milite pour que ce loisir sorte de ses revendications « datant des années 1950 ».

L’une des principales dispositions des textes débattus consiste à supprimer l’impôt foncier de propriétaires de terrain qui entretiennent, pour la chasse, des habitats naturels et notamment des zones humides. L’extension d’un avantage fiscal créé par la loi Poniatowski de 2008, et pour lequel le ministère récuse le terme de « niche fiscale », délicat en pleine période de traque des privilèges. « C’est plutôt un investissement, car les zones humides sont en voie de régression. D’ailleurs, le montant de cette exonération ne devrait pas atteindre pas un volume important. » Il n’a cependant pas été estimé : les propositions de loi n’y sont pas tenues.


Protecteurs de la biodiversité : c’est la nouvelle corde sur laquelle jouent les chasseurs. Ils se considèrent comme les premiers acteurs de la préservation des équilibres naturels au titre de « gestionnaires » de la faune sauvage, et revendiquent ce nouveau brevet de respectabilité — c’est le sens de plusieurs articles dans la loi Bignon.
Au passage, le naturel revient vite au galop. La FNC, commentant la situation du gibier de montagne à l’ouverture de la saison de chasse, signale une « seule ombre au tableau, une prédation accrue […] due à la présence du lynx et du loup » — des espèces protégées et très utiles pour l’équilibre de la faune.


Les fédérations entendent aussi faire valider par le législateur une mission récente dont elles se sont auto-investies. Article 2 : « Elles mènent des actions d’information et d’éducation, dans une logique de développement durable, en matière de préservation de la faune sauvage et de ses habitats. » Les associations écologistes ont maintes fois protesté contre les tribunes offertes dans les écoles à des fédérations de chasse déguisées en mouvements d’éducation populaire.


Une série de petits « cadeaux » en période préélectorale : la droite courtise les chasseurs. « Pourtant, il existe un mythe autour de leur vote, constate Pierre Athanaze. Ce pseudo-réservoir a tendance à voter globalement comme la moyenne des Français, en dehors de quelques particularismes locaux. De plus, il n’est pas fiable : Chasse, pêche, nature et traditions, leur relais politique, a adhéré à l’UMP il y a deux ans mais présente quand même un candidat en 2012. »


Le nombre de chasseurs est par ailleurs en baisse constante, il a été divisé par deux en trente-cinq ans. La FNC a lancé en 2009 une campagne de séduction en invoquant « le poids considérable de la chasse dans la culture française », sa « valeur universelle […] d’une extraordinaire modernité ». Cible privilégiée : les jeunes urbains stressés, pour « tout simplement redevenir soi-même en réveillant le chasseur qui sommeille en chacun de nous ! ».


Pas de quoi enrayer le déclin. On ne compte plus aujourd’hui qu’environ 1,2 million d’adhérents aux fédérations départementales de chasse.


[^2]: Y compris celle de 2000, du socialiste François Patriat.

Écologie
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