Tinariwen : « L’important, c’est le souffle »

Tinariwen a congédié les guitares électriques dans son nouvel album, enregistré dans le sud-est algérien. Retour aux origines et bilan sur l’influence du groupe.

Jacques Vincent  • 15 septembre 2011 abonné·es

Le nouvel album de Tinariwen se nomme Tassili, en référence à l’endroit où il a été enregistré, dans le Sud-Est algérien. Particularité : le groupe a fait le choix de se passer pour un temps des guitares électriques, pourtant symboliques de sa couleur musicale. Il en résulte un sentiment particulier de recueillement mais, comme on a pu le constater sur la scène des Bouffes du Nord, en juin dernier, lors d’un concert acoustique de pure magie, électricité ou pas, la musique de Tinariwen s’adresse toujours autant au cœur, au corps et à l’esprit.


Eyadou Ag Leche, bassiste du groupe depuis maintenant dix ans, explique qu’enregistrer ce nouvel album à cet endroit correspondait à une envie de revenir aux racines, aux débuts du groupe (avant les guitares électriques) et, après avoir beaucoup fréquenté les villes, de retrouver « un lieu reposant, un lieu d’inspiration ».



 Politis : Y avait-il une envie de retrouver quelque chose de particulier des débuts ? 


Eyadou Ag Leche : Nous recherchons toujours l’ assouf, la nostalgie qui habite ce lieu où beaucoup des chansons de Tinariwen ont été composées et qui a toujours été un point de passage pour le groupe, une halte entre la Libye, le Mali et l’Algérie.


La nostalgie est très présente dans les disques de Tinariwen. Était-ce le cas dans la musique traditionnelle touarègue ?


La musique traditionnelle touarègue est complètement inspirée de cela. Elle en est issue. C’est quelque chose de profond dans la culture touarègue, un sentiment qui habite le voyageur, le nomade, le berger, tous ceux qui vivent dans ces lieux.


À qui s’adresse cette phrase dans « Imidiwan Ma Tennam » : « Ce désert où vous dites être nés, vous l’avez quitté, vous l’avez abandonné »  ?


Cette chanson parle de la jeunesse, de l’exode, des gens qui se sont partagés entre plusieurs pays, et elle dit aux gens : « N’oubliez pas où vous êtes nés, que vous êtes d’ici. » Chaque Touareg, quand il l’entend, se sent habité par ce désert.


Il y a cette image attachée à Tinariwen d’un musicien avec une guitare électrique dans une main et une kalachnikov dans l’autre. Quelle a été la réalité de cette image à une époque ?


C’est une image réelle. Cette musique est née de la déchirure, de la faille qui a traversé ce peuple. La différence entre la guitare et la kalachnikov, c’est que la guitare réunit plein de personnes autour de soi alors que la kalachnikov les chasse. La guitare électrique porte le son et le message encore plus loin. C’est pour cette raison que nous l’avons choisie.


Tinariwen est une influence importante, pas seulement musicale, pour les jeunes générations. Cela vous confère une responsabilité. Comment est-ce ressenti dans le groupe ?


Pour notre peuple, Tinariwen, ce n’est pas que de la musique, c’est aussi une institution morale. Notre rêve, c’est que nos guitares chantent toujours et donnent de l’espoir. C’est la possibilité que quelqu’un regagne un peu d’espoir avec notre musique qui nous inspire et nous donne le courage de continuer. C’est à la fois une responsabilité et une fierté qui se porte légèrement, sans peser sur les épaules.

Qu’avez-vous constaté depuis dix ou vingt ans qui vous laisse penser que le message a porté ses fruits ?


Cette musique a beaucoup influencé la manière de vivre, la manière dont fonctionnent les gens. Par exemple, ils se rendent compte que, comme le chante Tinariwen, il ne faut pas attendre qu’une institution ou un gouvernement vienne changer les choses à leur place, qu’il vaut mieux se prendre en main et agir par soi-même. Grâce à cela, il y a aujourd’hui beaucoup plus d’enfants qui vont à l’école.


Quelles sont les revendications par rapport aux différents pays où vivent les Touaregs ?


La revendication principale, c’est la recherche de la paix et de la liberté. Cela passe aussi bien par l’éducation que par la construction de dispensaires, d’hôpitaux, etc. Ce sont des revendications toutes simples. La principale est que les Touaregs aient les mêmes droits que tout le monde, ce qui n’est pas le cas parce qu’ils sont loin des centres de santé et dans des zones qui n’ont pas connu de développement.


Cela dit, c’est différent d’un pays à l’autre : en Algérie, l’éducation des enfants est prise en compte, les Touaregs vivent mieux qu’au Mali ou au Niger. Mais les aspirations à la liberté et à la paix sont toujours d’actualité.

Beaucoup de jeunes sont partis dans les villes algériennes. Est-ce que ce mouvement continue ?


Il est moins important qu’il ne l’a été. Il y a beaucoup de personnes qui essaient de faire des projets sur leur lieu de naissance. Ils se sont rendu compte que l’extérieur n’est pas le paradis et qu’on peut réaliser des choses chez soi.


Par ailleurs, en Algérie, la mentalité de l’administration par rapport aux Touaregs est en train de changer. Les autorités commencent à se rendre compte que c’est une culture qu’on ne peut pas écraser. Donc, il y a plus de chances aujourd’hui qu’hier que les revendications soient entendues.


Que vous inspirent les révolutions dans les pays arabes ?


Tinariwen chante la liberté. Nous rêvons de la même liberté pour nous que pour tout le monde. Ces révolutions, qui revendiquent la liberté et la démocratie, nous parlent d’autant plus que nous avons les mêmes revendications depuis longtemps. Nous sommes avec ceux qui les portent ; plus il y aura de démocratie, plus les droits des uns et des autres seront respectés.

Le groupe a longtemps été une communauté à géométrie variable. Est-ce toujours le cas ?


Tinariwen est un collectif dont la formation n’est pas figée. Ce qui porte le groupe, c’est la profondeur des anciens et le souffle des jeunes qui le rejoignent. C’est une base dans laquelle les individus n’ont pas d’importance en soi. C’est le souffle qui importe.


Si les membres de Tinariwen n’avaient pas été musiciens, qu’auraient-ils pu être ?


Personnellement, j’aurais pu être caravanier ou voyageur. D’autres auraient pu être bergers ou nomades. Comme tout le monde, quoi !

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