Une politique ahurissante

Le gouvernement français réserve un traitement
inhumain et illégal
aux enfants d’origine rom, soumis à toutes les injustices.

Damien Nantes  • 22 septembre 2011 abonné·es
Une politique ahurissante
© Damien Nantes est directeur de l’association Hors la rue, membre du collectif Romeurope. Photo : AFP / Patrick Kovarik

Le 21 juillet 2011, presque un an après le « discours de Grenoble » du président de la République, le collectif Romeurope organisait une conférence de presse sur le bilan de la politique concernant les gens du voyage et les Roms. Il dénonçait ses effets désastreux sur la situation sociale des Roms migrants et son inefficacité […]. Le lendemain, une étude policière « fuitait » […], qui démontrait l’explosion de la délinquance roumaine (+ 72,4 %, admirez la précision), et celle des mineurs en particulier. En août, Claude Guéant reprenait une première fois ces chiffres […], puis en septembre, pour annoncer la reconduite à la frontière des mineurs roumains « délinquants ». […]
Nous rencontrons quotidiennement en région parisienne des jeunes Roumains qui vivent une situation d’errance. […] Alors qu’ils sont citoyens européens depuis le 1er janvier 2007, des « dispositions transitoires » refusent aux Roumains le droit au travail. À la pauvreté s’ajoute une instabilité permanente liée à l’expulsion répétée des bidonvilles où les familles sont installées, au rejet des institutions, à la difficulté pour accéder à la scolarisation, qui est pourtant l’un des droits élémentaires d’un enfant (on estime qu’entre 5 000 et 7 000 enfants, la plupart Roumains d’origine rom, n’ont pas accès à l’école en France).


Pour survivre, certains mineurs sont amenés à mendier. D’autres, une minorité, commettent de petits délits. Il s’agit parfois d’actes purement individuels, mais dans certains cas (bien moins fréquents que ce que les déclarations de Claude Guéant laissent à penser), ils le font sous la pression d’adultes. Depuis trois ans, Hors la rue s’inquiète et alerte sur la situation de ces mineurs victimes de traite des êtres humains.
Face à cette situation de misère sociale, voire d’exploitation, l’idée d’expulser ces enfants est ahurissante et de plus parfaitement illégale [^2] ! La responsabilité de l’État, d’un État comme la France, est une évidence : il faut les protéger. Sur le terrain, les acteurs institutionnels, policiers et magistrats, ont d’ailleurs pris conscience de cette nécessité. […]


Mettre en cause aussi brutalement les mineurs et proposer ni plus ni moins leur expulsion est une nouveauté plus qu’inquiétante. C’est aux principes mêmes de la protection de l’enfance que le ministre de l’Intérieur s’attaque. Celle-ci repose d’abord sur une idée simple : un mineur, étranger ou non, c’est un enfant, un être humain « en construction ». À ce titre, il ne doit pas être considéré comme un adulte, sa responsabilité s’il commet un acte délictueux ne peut être analysée de la même façon. Surtout, lorsque sa situation ou ses actes révèlent qu’il est en danger, il doit bénéficier de mesures de protection et d’accompagnement. […]
Or, depuis plusieurs années, il est de plus en plus difficile pour les mineurs étrangers en danger d’être accueillis et pris en charge. En situation d’errance et donc clairement en danger, ils ont le plus grand mal à accéder à une protection. Les moyens manquent bien sûr, mais de multiples pratiques visant à les exclure se développent : retard de prise en charge, expertise osseuse systématique, placement à l’hôtel sans suivi éducatif… Ces jeunes sont soupçonnés de mentir sur leur âge, leur situation familiale. L’idée que leur prise en charge serait financièrement déraisonnable, voire illégitime, se diffuse.

Le conseil général de Seine-Saint-Denis ne les accueille plus depuis le 1er septembre. Pour son président, Claude Bartolone, cette prise en charge coûte trop cher et, en l’absence de financement de l’État, le département ne peut plus assurer leur accueil. Les mineurs étrangers qui demandent à être protégés sont désormais envoyés au tribunal, où des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse, qui n’ont aucun moyen, bricolent des solutions. Aujourd’hui, des jeunes, des enfants, dorment dans la rue alors qu’une décision du juge pour enfants ordonne leur prise en charge.
Oui, la protection de ces mineurs a un coût […], et l’État devrait certainement soutenir les collectivités locales. Nous ne nions pas ces débats. […] Mais est-ce qu’un tel bras de fer serait engagé si ces jeunes étaient français ? […] Dans ce climat délétère, nous devons réaffirmer avec force que la protection des mineurs en danger dans notre pays, qu’ils soient français ou étrangers, est une obligation juridique et morale. Les principes les plus élémentaires d’humanité imposent à l’État et aux collectivités locales d’organiser leur accueil, quel qu’en soit le prix. Rien ne peut justifier leur abandon, encore moins leur stigmatisation ou leur expulsion.


[^2]: Selon les articles L. 311-1, L. 511-4 et L.521-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que les articles 3-1 et 40 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Idées
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