Diagnostic de la crise

Aujourd’hui la Grèce, demain l’Italie… la crise des dettes souveraines concentre toute l’attention et cristallise les peurs. D’où vient le surendettement des Etats ? L’économiste François Morin livre ses explications à Politis.fr.

Anne Solesne Tavernier  • 7 octobre 2011
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Politis.fr  **: Comment expliquer la situation actuelle ?**
_ François Morin  : C’est extrêmement dépendant de ce qui s’est passé pendant la crise financière de 2007-2008. Ce que l’on observe aujourd’hui est la conséquence ou les prolongements de ce qui s’est passé alors. Pour comprendre d’où vient la crise des dettes souveraines, il faut comprendre d’où vient le surendettement des États. Pour mémoire : avant la crise de 2007, les États européens respectaient à peu près tous les critères de Maastricht (déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB, dette publique inférieure à 60% du PIB). Après la crise, tous se sont retrouvés en dehors des clous. Il faut donc remonter à la crise et établir les responsabilités pour comprendre ce surendettement. C’est un débat très compliqué parce que les intérêts en cause sont considérables. C’est pour cette raison qu’il faut toujours savoir d’où viennent les explications.

Quelles sont les explications de la crise de 2007-2008 ?
_ Le thème récurrent est de dire que la crise a commencé le 15 septembre 2008 avec la faillite de Lehman Brothers . Ce n’est pas complètement faux, mais c’est insuffisant. L’explication standard du G20 est la « prise excessive de risques » de certains acteurs. Les banques en particulier n’étaient pas assez solides. Elles n’avaient pas suffisamment de fonds propres par rapport à leurs engagements. À cause du rôle des paradis fiscaux et de leurs opérations hors bilan, elles n’avaient à leur disposition que très peu de fonds propres (de l’ordre de 1%). Se focaliser sur ce ratio est juste, mais c’est regarder par le petit bout de la lorgnette. Le G20 avait aussi évoqué un problème du côté des produits dérivés, en particulier sur les marchés non organisés (« marchés de gré à gré ») où se négocient ces produits. Le manque de transparence entourant ces marchés pose problème. Derrière cette explication, qui n’a été que secondaire, il y a en fait la question de subprimes .

On a beaucoup mis l’accent sur les subprimes en disant dit que la crise était directement liée à ces produits dérivés.
_ C’est juste comme explication, mais un peu court. Entre 2001 et 2006, les banques ont accordé des crédits immobiliers, les subprimes , à des ménages américains déjà fragiles. C’était très avantageux : les ménages n’avaient rien à payer pendant un ou deux ans, après quoi ils devaient verser un taux d’intérêt variable indexé sur les Fed funds (bonds du trésor américain) de l’ordre de 1%. Le problème est venu du risque lié à ces crédits, en raison du taux variable.

Comment les banques ont-elles fait pour se couvrir par rapport au risque lié à ces crédits ?
_ Pour s’en débarrasser, les banques ont créé des filiales, des « véhicules », dans des paradis fiscaux. Un véhicule va acheter les crédits de la banque dans lesquels il peut y avoir des subprimes . Mais la banque vend ses créances subprimes en même temps que d’autres créances, le tout rassemblé dans un titre financier unique. C’est ce qu’on appelle la titrisation des créances. Comme le véhicule n’a pas les ressources pour acheter ces créances, il emprunte sur les marchés financiers en émettant ce titre (issu donc des créances) sous forme d’obligations. Ce sont les fameux CDO ( collateralized debt obligation ). Le véhicule récupère les liquidités qui se retrouvent in fine dans la banque. Au terme de ce processus, les banques ne portent plus le risque lié aux crédits et récupèrent du cash pour continuer leurs opérations.

Quand les choses commencent-elles à mal tourner ?
_ Deux choses se produisent fin 2006. Les taux d’intérêts des Fed funds sont relevés à 5% environ, et le marché immobilier s’effondre. La hausse des taux d’intérêt provoque des difficultés pour les ménages qui ne peuvent plus payer. En conséquence, les créances portées initialement par les banques deviennent douteuses. De plus, il y a un effondrement du marché immobilier. Les biens immobiliers ne peuvent pas être revendus dans de bonnes conditions. Les créances deviennent toxiques, non-recouvrables et les titres financiers émis en contrepartie de ces créances (les CDOs) perdent toute valeur. Or les banques avaient acheté une partie de ces CDOs pour leur compte propre. Prises dans la tourmente, on a nationalisé et recapitalisé les banques un peu partout dans le monde.

C’est de là que vient l’endettement des États ?
_ Les économies sont tombées en récession à cause de cet enchaînement : crise immobilière, crise financière et crise économique. En 2008-2009, les États ont été amené à relancer leurs économies et recapitaliser les banques, d’où l’endettement. Ensuite, les finances publiques ont dérapé. Les États européens sont sortis des critères de Maastricht. Entre 2007 et 2010, l’augmentation de la dette publique mondiale a été de 45 % ce qui est considérable. Il y a donc bien un phénomène de surendettement dû aux effets directs de la crise.

Tout est venu de la façon dont la sphère financière a géré le risque ?
_ C’est le point essentiel. On voit que les banques ont titrisé parce qu’elles ont voulu se couvrir du risque. Sur le fond, ce qui est en cause c’est la gestion du risque, la façon dont le système financier essaie de se prémunir du risque, en sachant par ailleurs qu’on ne peut pas l’éliminer.

À l’origine, d’où vient le « risque » ?
_ Les principaux produits dérivés sont issus des risques liés aux taux de change et surtout aux taux d’intérêt, qui varient chacun respectivement sur le marché des changes et sur le marché obligataire. Entre 1944 et 1971, il n’y a pas eu de crise financière dans le monde. Les pouvoirs publics maîtrisaient la formation des taux de change et des taux d’intérêt qui étaient fixes. Le premier choc pour l’économie réelle intervient le 15 août 1971. Le président américain, Richard Nixon, décide de rompre le lien entre le dollar et l’or, puis le lien entre le dollar et les autres monnaies. C’est la libéralisation du marché des changes, les entreprises n’ont plus de visibilité sur les taux de change. À la fin des années 1970 – début des années 1980, c’est au tour de la libéralisation des taux d’intérêt. Deuxième choc pour l’économie réelle : les États ne peuvent plus se financer auprès des banques centrales, mais seulement sur les marchés financiers. Une nouvelle réalité financière voit le jour, avec une immense industrie financière de couverture du risque (les produits dérivés), conduisant à un accroissement du rôle des marchés financiers.

La décision de Nixon était-elle une reconnaissance des idées néolibérales ?
_ En tout cas, c’était la concrétisation de leurs idées qui d’un seul coup prenaient corps. Il y a à la fois des facteurs pratiques et idéologiques derrière la décision de Nixon. Du côté des facteurs concrets, la perte de confiance dans le dollar -à la fin des années 1960 l’économie américaine rentre en récession, à cause notamment du coût de la guerre du Vietnam- et la diminution des stocks d’or. Du côté des facteurs idéologiques, la pensée néolibérale apparaît en 1947 avec la création de la société du Mont-Pèlerin. C’est l’idée qu’il faut libéraliser la sphère financière pour empêcher l’Etat, mauvais gestionnaire, de trop s’immiscer dans l’économie. La décision de Nixon est donc une aubaine formidable. Depuis, les idées néolibérales ont imprégné toutes les grandes institutions internationales.

Économie
Temps de lecture : 7 minutes
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