Europe-Canada : accord en catimini

Commerce Vers une zone de libre-échange à la solde des multinationales.

Thierry Brun  • 27 octobre 2011 abonné·es

Ed Fast, le ministre canadien du Commerce international, était tellement satisfait des négociations autour de l’accord historique créant une vaste zone de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, se déroulant à Ottawa jusqu’au 21 octobre, qu’il n’en a pas attendu la fin pour exprimer son contentement.

Ainsi, la veille, se déclarait-il « heureux » d’annoncer que « d’importants progrès ont été réalisés » , notamment dans les « secteurs clés de l’accès au marché principal des biens, des services, des investissements et des marchés publics » . Ce que les représentants des États ont nommé l’Accord économique et commercial global (AECG), le plus ambitieux jamais négocié par le Canada et l’Union européenne, devrait être définitivement conclu en 2012.

En deux ans, neuf séries de négociations se sont déroulées sous l’étroite surveillance du Canada Europe Roundtable for Business (CERT), organisme patronal de lobbying réunissant les multinationales de BusinessEurope, organisation patronale européenne, et du Conseil canadien des chefs d’entreprise. Les exigences de ces trois organisations, publiées en mai 2009, ont largement inspiré les négociations bilatérales qui se sont achevées la semaine dernière, « en secret et sans consultation de la société civile, à l’exception des gens d’affaires » , comme l’ont dénoncé des dizaines de syndicats et d’associations canadiennes et européennes signataires d’un appel demandant aux élus du Parlement européen et des parlements nationaux de refuser de ratifier l’AECG ^2.

La Commission européenne est restée fort discrète sur ce partenariat qui, selon une étude de ses services, augmenterait de 20 % les échanges bilatéraux. Il contient pourtant quelques bombes à retardement : « Ces négociations servent les intérêts d’énormes multinationales convaincues que les services publics tels que les soins de santé, l’éducation et la sécurité publique constituent un domaine encore inexploré qui permettrait au secteur privé d’engranger des profits » , critique Peter Waldorff, secrétaire général de l’Internationale des services publics (dont les principales confédérations syndicales françaises sont membres). L’accord vise, entre autres, à affaiblir les réglementations sociales, environnementales et sanitaires, considérées comme des entraves au commerce.

Les réglementations relatives au bœuf aux hormones et aux produits chimiques sont dans le collimateur des industriels canadiens. Une disposition, résume l’appel, « laisse aux entreprises la possibilité de placer les États et les gouvernements locaux en Europe, les gouvernements fédéraux, provinciaux et municipaux au Canada, sous un chantage permanent, celui d’obtenir leur condamnation s’ils réglementent les activités convoitées » .

Autre effet redouté : l’accord facilitera la mise en œuvre d’un grand marché transatlantique dont rêvaient déjà les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en négociant secrètement un accord multilatéral sur l’investissement (AMI) entre 1995 et avril 1997 [^3] .

La France, qui a joué un rôle majeur dans le rejet de l’AMI, pourrait accepter aujourd’hui ce qu’elle a refusé hier.

[^2]: http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article1234 

[^3]: « Un accord pour tout déréglementer », Politis n° 1110, 8 juillet 2010.

Temps de lecture : 3 minutes