Hollande, l’homme constant

La victoire de François Hollande à la primaire socialiste confirme la mutation du PS qu’il a su impulser en onze ans de règne.

Michel Soudais  • 20 octobre 2011 abonné·es
Hollande, l’homme constant

La large victoire de François Hollande sur Martine Aubry peut être lue de deux façons. La première se résume à l’histoire d’une résurrection que l’on présente aussi comme une métamorphose. L’ancien patron du PS au bilan décrié a réussi en moins de trois ans à se présenter en « homme neuf ».
En 2007, dans l’Impasse , Lionel Jospin lui reprochait sévèrement de n’avoir pas fait « réfléchir le PS sur le fond, continûment et collectivement » .

« L’intelligence, la vivacité d’esprit, la souplesse d’adaptation et le sens des jeux tactiques ne peuvent suffire à tout » , écrivait-il. C’est pourtant pour lui que l’ancien Premier ministre a voté, jugeant aujourd’hui qu’il a « le plus de talent politique » , qu’il peut « le mieux rassembler » et qu’il a le plus de « chances de gagner » .

Pour expliquer comment le député de Corrèze, seul après le congrès de Reims, a pu remonter la pente, on rappelle son passé de tacticien hors pair, qui lui a toujours permis de se redresser quand ses adversaires le croyaient à terre. Une faculté qui lui a déjà valu d’être comparé à un « culbuto ». À l’envi, on souligne aussi la mue opérée lors de cette « traversée du désert ».

François Hollande dit lui-même s’être préparé à cette candidature «  physiquement, mentalement et politiquement » . Il a suivi un régime, a changé de lunettes, s’est teint les cheveux… Il s’est délesté de l’humour ravageur dont il était coutumier pour prendre l’air grave qui sied à la fonction qu’il brigue. Dans une voiture, dont il a fait son véritable bureau, il a sillonné la France des mois durant et sans escorte pour dialoguer avec le pays…
Sont ainsi posés tous les éléments d’une geste dont les communicants raffolent. À leurs yeux, ce procédé narratif à fort pouvoir de séduction et de conviction, qu’ils appellent un storytelling , renforce l’adhésion du public au fond du discours.

Une autre lecture consiste à faire apparaître les constantes du parcours politique de François Hollande, depuis son adhésion au PS en 1979. Loin d’être l’homme sans convictions que ses concurrents socialistes ont dépeint jusqu’à samedi dernier, celui qui a dirigé le Parti socialiste pendant onze ans (un record) incarne au contraire avec ténacité une ligne politique dont il n’a jamais varié. Un projet dont sa volonté de « réenchanter le rêve français », qui n’est qu’un slogan de campagne, ne dit rien.

Né en 1954 à Rouen d’un père médecin et d’une mère assistante sociale, François Hollande fait ses classes au lycée Pasteur de Neuilly, puis à l’Institut d’études politiques de Paris, où il milite au syndicat étudiant Unef, avant de rejoindre l’ENA en 1978 et d’adhérer au PS l’année suivante. Techno au service de François Mitterrand dans une équipe conduite par Jacques Attali, il juge Michel Rocard idéologiquement moderne mais stratégiquement naïf. Conseiller à l’Élysée, il évince un rocardien et se présente face à Jacques Chirac en Corrèze.

Il est sèchement battu mais s’accrochera à cette terre électorale, qui est alors la fédération de Jacques Delors. En ce dernier, dont il commence à fréquenter les cercles, il voit l’homme qui « pouvait dépasser le clivage entre la première et la deuxième gauche pour aller vers la troisième gauche » , relate son ami Jean-Pierre Mignard.

Avec cet avocat, qui présidait la Haute Autorité des primaires, Jean-Yves Le Drian, aujourd’hui président de la région Bretagne, et Jean-Michel Gaillard, François Hollande lance en 1984 les « transcourants ». Initiative dont on retiendra essentiellement le refus du clivage entre mitterrandiens et rocardiens, et moins le projet qui l’anime, formulé dans une tribune du Monde au titre explicite : « Pour être modernes, soyons démocrates. »

-* Oubli dommageable car dans ce texte se trouve concentré un projet que François Hollande n’a jamais renié : la volonté de « tordre le cou à quelques tabous préhistoriques » du socialisme ( « la conception dogmatique de la classe ouvrière » , « l’affirmation d’un programme politique atemporel » …), celle de faire du PS « le parti de toute la société » , capable de « s’adresser aux individus tout autant qu’aux groupes » sociaux et d’adopter « une démarche modeste » .
Une définition de la gauche qui ne serait « pas un projet économique, mais un système de valeurs » , qui ne serait « pas une façon de produire mais une manière d’être » .

Et enfin la perspective d’un arc d’alliance qui rassemble, « face aux périls qui grossissent (racisme, peur, pauvreté, montée des extrêmes) » , « les courants démocratiques du pays […] au-delà du clivage gauche-droite » .
Cette profession de foi, dans laquelle Jean-Luc Mélenchon distingue les caractéristiques de ce qu’il appelle la ligne « démocrate », et qui s’est imposée aux États-Unis avec Bill Clinton, au Royaume-Uni avec Tony Blair et la « troisième voie », apparaît avec le recul comme le fil conducteur de la mutation idéologique du PS conduite par François Hollande, tout au long de ses onze années passées aux commandes de Solferino.
Sa désignation, dimanche, traduit ainsi le succès de cette entreprise de très longue haleine, masquée par des synthèses bonhommes qui ne visaient en réalité qu’à endormir conflits et débats.

Désormais libre, François Hollande peut, ainsi qu’il l’a fait devant ses partisans réunis à quelques pas de Solferino, à la Maison de l’Amérique latine, appeler au rassemblement de la gauche et du centre.

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