La gauche et le 17 octobre 1961

Bernard Ravenel  • 13 octobre 2011 abonné·es

Il y a cinquante ans, s’accomplissait à Paris, dans une grande indifférence de la société française, un massacre de masse d’Algériens. Je partirai de souvenirs personnels concernant le 17 octobre 1961 et ses suites, que j’ai vécues de près comme militant politique. Dès le lendemain du massacre, l’idée d’une riposte de rue s’imposait. Faute de pouvoir entraîner les grandes organisations politiques et syndicales de la gauche, mon parti, le PSU, décida d’y descendre seul et ce, le 1er novembre, jour anniversaire de la rébellion ! J’ai participé à la préparation de cette action clandestine dans un Paris en état de siège. Nous étions environ 1 500 place Clichy pour remonter en cortège la rue Blanche derrière une banderole « Halte au racisme ».

Alors va s’enclencher un cycle de manifestations de plus en plus unitaires, pour culminer le 8 février 1962, quand la police, ou plutôt certains corps gangrenés par l’OAS, tue neuf manifestants, tous communistes. Au Père-Lachaise, seul le représentant de la CFTC, Robert Duvivier, proche du PSU, associe les morts algériens du 17 Octobre et les morts français du 8 Février…
Critiquer le PC et la CGT pour ce mutisme prolongé, pour cette défaillance internationaliste, est vain si, en même temps, on ne s’interroge pas sur les causes profondes de l’imprégnation dans les masses de l’idéologie nationaliste. En effet, l’État français, à travers le système éducatif en particulier, a construit dans le corps social une vision globale du monde, consciente ou inconsciente, avec sa dimension mythique (la France de l’universalisme démocratique, apportant la liberté à tous les peuples…). Les Français se voyaient ainsi dotés d’un sentiment de supériorité morale légitimant la politique coloniale même dans ses pires aspects.

Le travail de démystification de cette idéologie nationaliste n’a pas été assumé par les directions politiques du mouvement ouvrier, si l’on excepte des contributions d’intellectuels marxistes du PC, du PSU et des Temps modernes.
Dans des périodes de crise, les classes populaires trouvent, à partir de cette conscience nationaliste spontanée, la justification d’un réflexe défensif qui peut vite dégénérer en racisme. Telle est la base idéologique du vote ouvrier massif pour Marine Le Pen. Réfléchir sur le sens du 17 Octobre nous amène à repenser un internationalisme en quelque sorte interne pour la société française, et externe à l’échelle de la Méditerranée…

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »
Entretien 24 avril 2025 abonné·es

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »

Dans Une étrange victoire, écrit avec le sociologue Étienne Ollion, Michaël Fœssel décrit la progression des idées réactionnaires et nationalistes dans les esprits et le débat public, tout en soulignant la singularité de l’extrême droite actuelle, qui se pare des habits du progressisme.
Par Olivier Doubre
Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »
Gauche(s) 23 avril 2025 libéré

Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »

Après s’être attaquée aux discours sexistes dans les médias et à la figure du bon père de famille, l’autrice met en lumière les biais classistes à gauche. Avec Ascendant beauf, elle plaide pour réinstaurer le dialogue entre son camp politique et les classes populaires.
Par Hugo Boursier
Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition
Idées 23 avril 2025 abonné·es

Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition

Inflexion idéologique chez les sociaux-démocrates, victoire culturelle pour la gauche radicale… Face à la guerre commerciale de Donald Trump, toutes les chapelles de la gauche convergent vers un discours protectionniste, avec des différences.
Par Lucas Sarafian
Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef