Le bisphénol A reconnu coupable

La dangerosité de cette substance est enfin admise, même à de faibles doses : effets sur la reproduction et le métabolisme… Reste à confondre d’autres neurotoxiques non moins inquiétants.

Ingrid Merckx  • 6 octobre 2011 abonné·es

Coup de théâtre : le bisphénol A (BPA) entraîne « des effets sanitaires avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme, même à de faibles niveaux d’exposition » , déclare l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) le 27 septembre. En publiant deux nouveaux rapports, l’agence cite des effets sur la reproduction et sur le métabolisme des sucres et des graisses, ainsi que des pathologies cardiovasculaires.

L’Anses juge « prioritaire » désormais la prévention à l’exposition des populations les plus sensibles : nourrissons, jeunes enfants, femmes enceintes et allaitantes. Comme le BPA se trouve dans « près d’une soixantaine de secteurs d’activité » , dont l’alimentation (la plupart des conditionnements d’aliments et de boissons), mais aussi jouets et articles de puériculture ou tickets de caisse, trouver des produits de ­substitution devient le nouveau défi. L’Anses a donc lancé un « appel à contributions » .
La toxicité du BPA n’est pas un scoop. Même pour l’Anses, qui a déjà publié des rapports sur le sujet dont un, en 2010, recommandant timidement l’étiquetage des ustensiles ménagers en contact avec du BPA. Au printemps de la même année, les députés ont voté la suspension de la commercialisation de biberons avec du BPA.

La nouvelle, aujourd’hui, c’est la reconnaissance d’une toxicité « même à de faibles niveaux d’exposition » et le passage des instances publiques à un degré d’action supérieur. Le 6 octobre, les députés examineront une proposition de loi socialiste interdisant l’usage du BPA.

Une victoire pour le Réseau environnement santé (RES) : « Plus de 500 études scientifiques validées montrent les effets néfastes du BPA » , rappelle André Cicolella, fondateur du RES. Sauf que, jusqu’à présent, 95 % des études n’étaient pas prises en compte par l’Anses, pour des raisons de protocoles. « Mais leur référentiel est dépassé » , peste le chercheur, qui accuse l’agence de ne pas respecter la base de la déontologie de l’expertise. Il n’exclut pas non plus « une stratégie de fraude scientifique » sur la lecture des données existantes. Déni ou mensonge ?

« Ils ne pouvaient plus continuer à nier », tranche Stéphane Horel, journaliste et auteure de la Grande Invasion, une enquête sur les produits toxiques. Sauf à se risquer dans une nouvelle affaire du type Mediator. Le contexte présente de fortes similitudes. Certes, il n’est pas possible d’imputer directement des morts au BPA. « Les causes de maladies neurodégénératives sont pluri­factorielles, et nous sommes exposés à une myriade de neurotoxiques en synergie » , précise Marie Grosman, auteur avec Roger Lenglet de Menace sur nos neurones, Alzheimer, Parkinson, et ceux qui en profitent… (Actes Sud).

Mais l’implication des industries chimiques et pharmaceutiques est là encore colossale. « Le BPA est le produit le plus fabriqué au monde en tonnage » , rappelle Stéphane Horel. «Et quid de la commercialisation des psychotropes, cérébrotoxiques, médicaments anti-Alzheimer… ?» , interroge Marie Grosman dans son enquête.

Sans surprise, l’Union des industries chimiques (UIC) a réclamé le 29 septembre des études scientifiques «  complémentaires  » pour confirmer « les hypothèses pouvant expliquer les effets à très faibles concentrations chez l’homme » . Elle a également rappelé que les substituts au BPA n’étaient pas sans risques et a jugé «  prématuré  » de publier une liste de perturbateurs endocriniens en l’absence de définition établie.

L’urgence, aujourd’hui, c’est de limiter l’exposition au BPA. « En commençant par éviter conserves et canettes » , glisse André Cicolella. Deuxième étape, trouver des produits de substitution. Troisième étape : se servir du BPA comme d’un cheval de Troie pour faire reconnaître la dangerosité d’autres neurotoxiques tels aspartame, PBDE, phtalates…
Enfin, éviter la paranoïa : « L’objectif, c’est de changer les pratiques industrielles et les politiques publiques.   »

Société Santé
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

À Nantes, la socio-esthétique apaise les corps des demandeurs d’asile
Reportage 2 décembre 2025 abonné·es

À Nantes, la socio-esthétique apaise les corps des demandeurs d’asile

Bulle de douceur, le travail de la socio-esthéticienne du centre d’accueil des demandeurs d’asile complète l’approche des travailleuses sociales en redonnant au corps la place centrale qu’il mérite, et à la personne, un temps pour soi.
Par Elsa Gambin
29 novembre : en France, une unité nationale inédite mais tardive de solidarité avec la Palestine
Mobilisation 28 novembre 2025

29 novembre : en France, une unité nationale inédite mais tardive de solidarité avec la Palestine

Ce samedi de Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, une manifestation nationale rassemblera à Paris plus de 85 organisations : associations, syndicats et l’ensemble des partis de gauche. Une configuration inédite depuis le 7 octobre 2023, la plupart des structures politiques restant jusqu’ici en retrait ou divisées lors des mobilisations. Des rassemblements ont aussi lieu sur tout le territoire.
Par Caroline Baude
Dissolution d’Urgence Palestine : face aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, la France botte en touche
Répression 28 novembre 2025

Dissolution d’Urgence Palestine : face aux rapporteurs spéciaux de l’ONU, la France botte en touche

Fin septembre, le gouvernement français a été interpellé par quatre rapporteurs spéciaux de l’ONU sur les atteintes aux droits humains qu’entraînerait la dissolution d’Urgence Palestine. Politis a pu consulter la réponse du gouvernement, qui évacue les questions, arguant que la procédure est toujours en cours.
Par Pauline Migevant
« Je ne veux pas être déportée » : au CRA d’Oissel, la mécanique de l’enfermement
Reportage 27 novembre 2025 abonné·es

« Je ne veux pas être déportée » : au CRA d’Oissel, la mécanique de l’enfermement

Si le centre de rétention administrative (CRA) d’Oissel-sur-Seine, situé en pleine forêt, n’existe pas dans la tête des gens habitant aux alentours, l’enfermement mental et physique est total pour les femmes et les hommes qui y sont retenus. Politis a pu y rentrer et recueillir leurs témoignages.
Par Pauline Migevant