Les deux âmes de l’écologie

Tribune de Patrick Farbiaz, membre du conseil d’orientation politique d’EELV.

Patrick Farbiaz  • 6 octobre 2011 abonné·es

L’écologie est partagée entre deux visions : celle d’en bas, l’écologie populaire, et celle d’en haut, dont le « développement durable » est l’héritière. Cette division comporte trois dimensions : historique, sociale et géographique. Dès l’invention du terme « écologie » par Ernst Haeckel, tout oppose ces deux conceptions. Le biologiste, mû par une volonté scientifique de classifier la nature, les animaux et les humains, développe une idéologie à caractère raciste où la purification de la race est très présente. L’écologie politique aura du mal à se défaire d’un tel héritage, souvent marqué par le malthusianisme ou l’hygiénisme.

Pourtant, au XIXe siècle, se développent en parallèle des luttes populaires comme celle des luddites contre la dictature de la machine, ou contre les émanations de soufre dans les mines andalouses. Aux États-Unis, Thoreau conçoit la désobéissance civile tandis que des géographes anarchistes comme Kropotkine et Reclus fondent une autre écologie, libertaire et populaire, fondée sur la coopération et l’entraide.

La confrontation entre ces deux écologies perdure à notre époque :

– D’un côté, une écologie technocratique, popularisée à travers de grands sommets planétaires comme Rio ou Copenhague, la constitution de normes et de conventions internationales (climat, forêt, énergie…), dynamisée par les opérations marketing d’ONG internationales. Elle se reconnaît des leaders d’opinion comme Al Gore ou Yann Arthus Bertrand ; sa rhétorique est devenue la novlangue du champ associatif, politique ou syndical. Cette écologie-là cherche les voies d’une croissance verte qui lui donnerait un élan nouveau tout en restant fondée sur l’exploitation des ressources naturelles. Bref, avec le développement durable, tout change… pour que rien ne change !

– De l’autre côté, une écologie des pauvres, sans porte-parole reconnu, présente notamment en Asie et en Amérique latine. Elle se structure dans les années 1990 aux États-Unis dans le mouvement pour la justice environnementale des quartiers populaires où les Noirs et les Chicanos sont victimes de plein fouet des pollutions chimiques et industrielles.
Cette écologie plébéienne, subissant des inégalités écologiques, ethniques et sociales, s’appuie sur des mobilisations populaires et planétaires : le réseau Via Campesina dans la paysannerie, les mouvements contre la déforestation, les barrages, l’extraction minière ou pour l’accès à l’eau… Quelques intellectuels les accompagnent – l’Indienne Vandana Shiva, le Catalan Joan Martínez Alier, le Brésilien Leonardo Boff, fondateur de la théologie de la libération. Ce bouillonnement reste assez étranger à une écologie européenne de classes moyennes au capital culturel élevé, dont les positions fortes ont été conquises en devenant les bons élèves du développement durable. Ce débat au sein de l’écologie ne fait que commencer.

Publié dans le dossier
L'écologie peut-elle être populaire ?
Temps de lecture : 2 minutes