Pédagogie des révolutions arabes

Jean-Pierre Filiu réfute certains préjugés occidentaux sur les soulèvements de 2010.

Denis Sieffert  • 13 octobre 2011 abonné·es

La place de l’islam dans les révolutions arabes, le rôle de la jeunesse, l’importance des réseaux sociaux : ce sont quelques-uns des thèmes abordés dans son dernier ouvrage par l’historien arabisant Jean-Pierre Filiu, qui revient sur les soulèvements qui secouent Maghreb, Proche et Moyen-Orient depuis 2010. Et ce sont autant de préjugés occidentaux que l’auteur réfute.
Filiu replace ces événements dans leur contexte historique et retient deux dates : 1979, avec la révolution iranienne et l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan ; 1989, avec l’effondrement du bloc soviétique. En proposant une lecture de l’histoire plus qu’une analyse événementielle, Filiu montre comment un monde arabo-musulman structuré par l’équilibre Est-Ouest est rapidement déstabilisé pendant la dernière décennie de la guerre froide. Les émeutes d’octobre 1988 en Algérie constituant le premier signe de ce bouleversement.

Ce sont les socles des dictatures et les régimes autocratiques qui en sont affaiblis. Mais Filiu conteste qu’un islam radical ait pour autant constitué une alternative. Il note que le processus révolutionnaire tunisien, dans une population « presque exclusivement musulmane » , s’est développé « sans la moindre dimension religieuse » . Et « les mêmes observations peuvent être faites au sujet de la contestation au Yémen ou en Oman » .
« La foi, conclut-il, demeure essentielle en termes de mobilisation éthique, mais elle a perdu sa vocation globale. »

Il en découle que l’alternative à la démocratie, en cas d’échec de ces mouvements, n’est ni la dictature ni un islamisme radical, mais le chaos. Filiu observe que les islamistes « ne contrôlent ni le calendrier ni les termes de référence de cette vague démocratique » . Et « ils sont impliqués dans un processus de transaction et de négociation avec un large éventail de partis, d’institutions et d’associations » .

L’auteur se penche aussi sur les formes de la mobilisation et relativise l’importance politique des réseaux sociaux. De même, il resitue l’exacte place de la question palestinienne dans la conscience arabe. S’il était absurde de croire que les révolutions allaient se mener au rythme de slogans anti-israéliens, la Palestine n’en est pas moins omniprésente comme un élément fédérateur de tout le monde arabe.

Enfin, on prend la mesure, dans des pages très fortes consacrées à la Libye, de ce qui se serait passé si les pays occidentaux n’avaient pas répondu – tardivement – à l’appel des insurgés.
Le grand mérite de Jean-Pierre Filiu, c’est de mettre l’accent sur l’interaction entre les causes endogènes des soulèvements – essentiellement sociales et démocratiques – et les facteurs internationaux.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc
1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique
Analyse 5 novembre 2025 abonné·es

1995 : le renouveau intellectuel d’une gauche critique

Le mouvement de 1995 annonce un retour de l’engagement contre la violence néolibérale, renouant avec le mouvement populaire et élaborant de nouvelles problématiques, de l’écologie à la précarité, du travail aux nouvelles formes de solidarité.
Par Olivier Doubre
Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »
Entretien 29 octobre 2025 libéré

Roger Martelli : « La gauche doit renouer avec la hardiesse de l’espérance »

Spécialiste du mouvement ouvrier français et du communisme, l’historien est un fin connaisseur des divisions qui lacèrent les gauches françaises. Il s’émeut du rejet ostracisant qui les frappe aujourd’hui, notamment leur aile la plus radicale, et propose des voies alternatives pour reprendre l’initiative et retrouver l’espoir. Et contrer l’extrême droite.
Par Olivier Doubre
Qui a peur du grand méchant woke ?
Idées 29 octobre 2025 abonné·es

Qui a peur du grand méchant woke ?

Si la droite et l’extrême droite ont toujours été proches, le phénomène nouveau des dernières années est moins la normalisation de l’extrême droite que la diabolisation de la gauche, qui se nourrit d’une crise des institutions.
Par Benjamin Tainturier