Pourquoi ce silence ?

Deux ouvrages apportent des éclairages précis sur les raisons des difficultés des victimes de viol à parler. Et de la société à les écouter.

Ingrid Merckx  • 27 octobre 2011 abonné·es

«Longtemps, j’ai menti. » C’est par ces mots que démarre Un beau jour… combattre le viol (Indigènes). Il s’en est passé du temps depuis ce jour où, à 22 ans, Clémentine Autain, aujourd’hui codirectrice du mensuel Regards et féministe, a été violée par un multirécidiviste. Au procès en assises, elles n’étaient que trois à témoigner. Entre tabou et secret, le viol s’entoure d’un silence qui participe du traumatisme. « Pourquoi s’est-elle tue si longtemps ? » , s’interrogent Audrey Guiller et Nolwenn Weiler, auteures de l’ouvrage le Viol, un crime presque ordinaire (Cherche Midi), à propos d’une amie victime d’un viol.

Tabou

Le viol implique les organes sexuels, d’où : pudeur. « Mais le viol n’est pas le sexe » , rappellent Audrey Guiller et Nolwenn Weiler. « Raconter un viol, une agression sexuelle, ça ne se fait pas » , renchérit Clémentine Autain. Comme si la transgression était aussi dans le fait de dire l’agression. « On touche à la sexualité et la suspicion n’est jamais loin. » D’ailleurs, on dit : « Elle s’est fait violer » , plutôt que : « Elle a été violée » , comme si « elle » y était un peu pour quelque chose… Pas de secret professionnel pour les mineurs depuis 1992. L’affaire d’Outreau a jeté un discrédit sur la parole des enfants, mais les fausses plaintes, rares comme chez les adultes (13 % des plaintes déposées par les 10 % de victimes de viol), sont vite repérées.

Domination masculine

« Le viol est facilité par une situation de domination, de hiérarchie préexistante – père-fille, patron-employée, psychanalyste-patiente   […], là se niche toute la complexité de ce crime qui s’inscrit dans un rapport d’oppression historique, celui du masculin sur le féminin » , résume Clémentine Autain. Pour autant, 80 % des hommes ne violeront jamais personne.

Culpabilité

« Le sentiment d’avoir été piégée, incapable de se défendre […], alimente ce sentiment de honte et de culpabilité. » Tous les viols ne sont pas accompagnés de violences, quand l’agresseur est un proche ou quand la victime est tétanisée. « La peur de mourir provoque une forme de dissociation du psychisme et du corps, explique Clémentine Autain. Une femme peut même avoir des sécrétions vaginales, “mouiller” lors d’un viol, ce qui n’indique pas l’envie mais traduit le mécanisme de sujétion qui met le corps au service du désir masculin imposé et permet de contourner une part de la douleur en facilitant l’entrée du pénis. » En outre, aucune victime, même se débattant, ne parvient jamais à avoir le dessus sur son agresseur.

Prise de conscience

Il faut parfois des années avant de pouvoir se dire : « J’ai été violée. » Et nombre d’épreuves : somatisation, dépressions, boulimie, anorexie, automutilations, tentatives de suicide (cinq fois plus nombreuses chez les victimes de viol), sexualité perturbée, manque de confiance en soi… La prescription est de dix ans pour un viol, de vingt ans si la victime était mineure. En Angleterre et au Canada, elle a été supprimée.

Honte

« Devoir se taire nourrit une perception de soi monstrueuse, comme si les femmes violées étaient désormais suspectes dans le regard des proches , s’insurge Clémentine Autain. Beaucoup évoquent cette impression d’être regardées, et singulièrement par les hommes, telles des bêtes étranges, souillées, des êtres que l’on ne peut plus désirer car marqués de façon indélébile du sceau du viol. » « La honte doit changer de camp » , était le titre de la campagne de 2010 du Collectif féministe contre le viol, Mix-Cité et Osez le féminisme.

Police peu formée

-Téléphoner au 17 pour prévenir la police ou la gendarmerie.

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Si possible, ne pas se laver et conserver les vêtements souillés.

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Consulter un médecin, à l’hôpital ou aux urgences médico-judiciaires.

-À contacter : Viols femmes : 0800 05 95 95. Allô enfance en danger : 119. Violences conjugales : 39 19. Jeunes violences écoute : 0 800 803 803. Collectif féministe contre le viol : www.cfcv.fr. Et aussi : écrire au procureur.

Souvent, les victimes de viol ignorent comment faire, où aller. Aux États-Unis, les « rape crises centers » sont identifiés par tout le monde. Selon Clémentine Autain, « les femmes éprouvent le plus grand mal à parler à leur entourage. Alors imaginez la difficulté à se rendre dans un commissariat de police pour raconter les détails crus d’un viol… […]. Bien des victimes redoutent le déni de la part d’une instance qui rend publiquement la justice. » Sauf quelques « brigades du viol » , les professionnels, médicaux et judicaires, sont très peu formés. Le viol est un crime particulier : la preuve est difficile à établir, et c’est à la victime de prouver qu’elle n’était pas consentante.

Cohésion familiale

« Comme dans les trois quarts des cas le violeur est connu de la victime, la crainte de bousculer l’environnement social et familial complique le recours à la police » , observe Clémentine Autain. En cas d’inceste, l’agresseur affirme que la famille ne résisterait pas à la révélation. « Comme si celui qui commettait le désordre n’était pas le violeur mais celle ou celui qui dénonce. L’enfant se retrouve responsable de la cohésion familiale » , insistent Audrey Guiller et Nolwenn Weiler. Les victimes s’expriment parfois de manière détournée mais, souvent, l’entourage ferme les yeux.

Procédure éprouvante

L’instruction d’une plainte dure trois ans en moyenne. « La justice cherche à établir la vérité mais ce processus de mise en cause de la parole de la plaignante peut enfermer les femmes dans une sorte de dialogue avec la folie. Ai-je rêvé ? Suis-je folle ?   », dit Clémentine Autain. Le viol passe de plus en plus en correctionnelle : il devient un délit, et le délai de prescription est réduit à trois ans. Les viols perpétrés sur le lieu de travail sont régulièrement déqualifiés en harcèlements sexuels. Les affaires de viol débouchent le plus souvent sur un non-lieu.

Déni

Depuis 1980, le viol est un crime défini comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit » , passible de 20 ans de prison. Peu de plaintes par manque de preuves : cette loi n’est pas réellement appliquée. « Une loi-cadre, assortie de moyens humains et matériels significatifs et affirmant le lien entre viol et domination masculine, est nécessaire pour l’ensemble des violences faites aux femmes » , martèle Clémentine Autain.

Évolution

Espoir : il y aurait une légère augmentation de la prise de parole depuis les années 2000, surtout chez les jeunes femmes. « Mais on parle surtout des viols par inconnus. Le problème, ce sont les viols par les intimes ou par les partenaires de rencontre », commente Maryse Jaspard, experte citée dans le Viol, un crime presque ordinaire. Les victimes de viols répétés sont les plus silencieuses.
Ingrid Merckx

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Et si on leur disait merde ?
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