« Ramallah Dream » : ville de rêve et de cauchemar

L’auteur nous plonge dans les contradictions
de la vraie-fausse capitale palestinienne.

Denis Sieffert  • 6 octobre 2011 abonné·es

Ramallah, 40 000 habitants intra muros , 220 000 si l’on prend en compte l’agglomération. Située à 15 kilomètres au nord-est de Jérusalem, à mi-hauteur de la Cisjordanie, la ville est la capitale de fait d’une Palestine qui n’existe pas. En attendant, un jour peut-être, Jérusalem-Est. Benjamin Barthe, qui fut neuf années durant correspondant du Monde dans les Territoires occupés, brosse un portrait de cette ville en plein boum économique, mélange de modernité et de tradition.

Symbole de cette double nature, le Mövenpick, où la jet-set palestinienne donne des fêtes luxueuses, et le Habib Store, « fatras d’articles [qui] déborde d’étagères en équilibre instable » . D’un côté, la cité américanisée où tout est possible pourvu que l’on accepte l’enfermement d’une ville cernée par l’occupant israélien ; de l’autre, le souk. Deux mondes, deux populations, deux époques. Tout est possible, croyable, même une pancarte annonçant la construction d’une résidence ultramoderne, sécurisée, et dont les espaces verts seraient financés par le Fonds national juif, le bras armé du sionisme historique. Il s’agissait d’une supercherie montée par un architecte et une plasticienne de la ville. Mais que les habitants ont crue, tant l’inimaginable est devenu plausible.

Benjamin Barthe nous invite dans ce « voyage au cœur du mirage palestinien » . Il retrace les évolutions de cette ville-bantoustan depuis que l’armée israélienne l’a quittée, en décembre 1995, et que les «  Tunisiens  » – les dirigeants de l’OLP de retour de leur exil de Tunis – ont investi les beaux quartiers. Avec sa révolution néolibérale lorsque le Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, entreprend de faire de Ramallah le lieu témoin de sa politique.

L’idée est de créer un « État de fait » susceptible de plaire aux institutions financières ainsi qu’aux capitales occidentales. Lesquelles ne lésinent pas sur l’aide apportée à la « shopping list » de Salam Fayyad et à sa « bonne gouvernance ».

Benjamin Barthe montre, au gré d’un récit vivant et aux épisodes parfois tragicomiques, comment se forme « la bulle Ramallah » . Il n’oublie jamais de rappeler et d’expliquer comment l’étau de l’occupation se referme sur ce théâtre d’ombres.

Car ce livre très étonnant n’en finit pas de poser la question : la stratégie de la ville lumière, riche de toutes les tentations occidentales, est-ce l’embryon d’un État palestinien qui fait ses preuves ou l’ultime acte de soumission à une occupation dont on finit par s’accommoder ? Un peu comme si les clivages sociaux, au sein de la population palestinienne, avaient réduit à néant l’ambition nationale.

Idées
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