Un tandem zen-punk

Avec Donkey Monkey, Ève Risser
et Yuko Oshima s’adonnent à leur passion du méli-mélo sonore.

Lorraine Soliman  • 27 octobre 2011 abonné·es

Déjà huit ans que ces deux jeunes femmes partagent leur bonheur de jouer et leurs affinités délirantes avec un public presque aussi hétéroclite que leur musique. L’une est française, tendance alsacienne, l’autre est native de Nagoya, au Japon.

Leurs chemins plutôt divergents se sont croisés au début des années 2000, au conservatoire de Strasbourg, dans le cadre du département de jazz et musique improvisée, où Ève Risser perfectionne ses acquis classiques en flûte et piano, tandis que Yuko Oshima vient y compléter une première formation un peu tardive à l’École des percussions de Strasbourg. Ses premières et précieuses années d’apprentissage de la musique, Oshima les a vécues sur la scène rock underground de son pays natal, en totale autodidacte. C’est là qu’elle prend goût aux expériences musicales un peu extrêmes, voire contradictoires, qu’elle rapproche d’une certaine mentalité nippone : « Au Japon, il y a cette culture très zen, et en même temps, à l’intérieur, c’est complètement punk… »

Pendant ce temps, Ève Risser, de huit ans sa cadette, découvre la liberté d’innover hors des frontières stylistiques, avec pour premier guide un imaginaire abondant. Elle découvre aussi une copine en Yuko Oshima, qui deviendra la grande complice d’un duo de choc au nom à coucher dehors, Donkey Monkey.

C’est dans cet animal fantasque que les deux musiciennes placent leur passion du méli-mélo sonore pulsé par une énergie hors du commun. Un piano, de plus en plus préparé [^2]
, une batterie, de plus en plus augmentée (de diverses percussions et samplers aux effets surprenants), et le tour est joué.

Les débuts sont parfois difficiles car le format n’a rien d’évident et l’on risque de tourner en rond… Il faut s’échapper, sortir des limites techniques de cet instrumentarium hautement percussif. Ce que le Donkey Monkey parvient rapidement à faire, sonnant-trébuchant comme un orchestre à lui tout seul.

Un premier album sorti en 2007, Ouature , conforte Risser et Oshima dans leur désir d’union musicale sans limitations de genre. Alliant la science des harmonies complexes du jazz avec un souci de fraîcheur et d’efficacité mélodique hérité de la pop, le couple parvient à communiquer sa joie de vivre, n’hésitant pas à prendre le public par la main entre deux séquences un peu free. Les interventions de plus en plus fréquentes d’instruments loufoques – mélodica à tuyau, theremin[[Instrument électronique primitif (1928)
qui porte le nom de son inventeur russe
Leon Theremin.]]… – et de petits jouets mécaniques, apportent une dimension ludique à une musique par ailleurs fort savante.

La voix est un autre ressort inattendu du Donkey Monkey, qui en use avec modération, et toujours dans l’idée de rendre sa musique plus accessible. Le concept du chant pour non-chanteur(s) est emprunté à la grande pianiste Carla Bley sur son album I Hate to Sing.

Les puristes n’apprécient pas forcément cet aspect presque dérisoire qui rend certaines compositions de Risser et Oshima immédiatement identifiables. Mais les deux comparses continuent d’évoluer comme bon leur semble.

Après Ouature et son « tube » éponyme chanté à tue-tête avec l’accent alsacien, l’album Hanakana, sorti en février 2011, marque l’entrée dans la maturité. Ou plutôt dans une forme de complexité mieux assumée, « pour éviter de tomber dans l’animation et qu’on écoute le symbole au lieu de la musique » , précise Ève Risser. Les influences japonaises ont remplacé l’humour alsacien. Le disque s’ouvre sur un morceau d’Oshima en hommage au compositeur japonais de musique contemporaine Asa-Chang : « Est-ce une fleur ? » , autrement dit « Hanakana ». Il indique en quelque sorte la voie à suivre. Se laisser porter par les mots, puis par une musique douce qui mène à la transe.

La suite de l’album concilie une approche très écrite avec des séquences improvisées qui dévoilent la grande complémentarité des musiciennes. Du rock noise au free jazz en passant par Ligeti, le compositeur de piano mécanique Conlon Nancarrow, Radiohead ou le dessin animé les Razmoket (!), Donkey Monkey a trouvé son identité, notamment à travers la dimension très physique de sa pratique musicale. Pour partir à la découverte de ce duo hors norme, se laisser surprendre.

[^2]: Technique de composition dans laquelle le son du piano est modifié par divers objets placés directement dans ses cordes.

Culture
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