Amérique éternelle

Avec son sixième album, le groupe Blitzen Trapper s’immerge dans un rock US millésimé.

Jacques Vincent  • 4 novembre 2011 abonné·es

On se souvient encore d’un Blitzen Trapper bruyant, grinçant, anguleux. C’était en 2007, avec l’album Wild Mountain Nation , qui pouvait aussi bien évoquer Captain Beefheart, The Fall ou Sonic Youth, et sonner autant anglais qu’américain, même si pointaient déjà banjos, pedal-steel guitar et harmonica. Eric Earley, qui écrit tous les morceaux et montre autant de talent dans ses commentaires que dans ses compositions, l’a un jour comparé à un disque écrit par un épouvantail alcoolique qui aurait été traîné par un camion !

Plus récemment, ni Furr , malgré certaines atmosphères proches, ni l’album précédent, Destroyer of The Void , plus pop, et malgré la présence d’Alela Diane sur une chanson, ne préparaient à l’arrivée d’ American Goldwing . Plus question de se demander d’où vient Blitzen Trapper : la musique plonge ici profond dans les racines de la musique américaine. Plus précisément la version que le rock en a donné au tournant des années 1960 et 1970 quand les lendemains de fête ont commencé à déchanter, version tellement aboutie qu’elle a fini par paraître à la fois datée et intemporelle.

Les deux premiers morceaux affichent en filigrane le riff du « Sweet Home Alabama » de Lynyrd Skynyrd, cette espèce d’indolence pesante et électrique. Mais le meilleur se situe du côté de Dylan avec The Band. Une ressemblance qu’il serait absurde de nier mais qui doit pourtant être considérée comme un simple repère au regard de la puissance émotionnelle contenue dans les chansons. C’est ce qui fait toute la réussite de ce disque. En comparaison avec les précédents et en résumé : plus de puissance, plus de chair et plus de cœur.

Une réussite brillante qui rappelle celle de Ryan Adams avec Gold il y a quelques années. La part d’homo­nymie du titre renforce encore le rapprochement ; cependant, dans le cas de Blitzen Trapper, le titre ne renvoie à rien de doré mais à cette Honda Goldwing sur laquelle le jeune Earley a fini un jour par monter après l’avoir dévorée des yeux, jusqu’à ce qu’elle chavire et qu’il se retrouve coincé dessous. Après des débuts difficiles, l’engin l’a ainsi conduit à écrire son meilleur disque : une « tentative pour risquer une vraie nostalgie américaine » . Peut-être aussi pour l’accepter.

Musique
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