Fralib : un thé au goût amer

En lutte depuis 14 mois pour sauver leurs emplois, les ouvriers de Fralib (thé l’Éléphant) ont manifesté jeudi 24 novembre à Paris. Ils en appellent au gouvernement.

Erwan Manac'h  • 25 novembre 2011
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Fralib : un thé au goût amer
© Photo Une : AFP / Anne-Christine Poujoulat _Photos articles : E. Manach, AFP / Jacques Demarthon

Les rues et les stations de métro autour de la rue de Varenne (Paris VIIe) sont tapissées d’autocollants de la CGT. Une poignée de manifestants barre la route aux automobilistes aventureux qui tentent de fendre la forêt de drapeaux. Jeudi 24 novembre, une centaine de salariés de l’usine Fralib, qui produit le thé Eléphant, est venue de Gémenos (Bouches-du-Rhône) à Paris en car, pour tenter de se faire entendre en marge d’une réunion de la multinationale anglo-néerlandaise Unilever, propriétaire de l’usine.

« Xavier Bertrand [ministre du Travail] a annoncé qu’une réunion se tiendrait demain [vendredi 25 novembre] à Bercy avec les ministres concernés et des représentants d’Unilever. C’est une honte pour la République que les salariés ne soient pas représentés » , s’emporte à la sono André Chassaigne, député PCF du Puy-de-Dôme, venu dans le VIIe arrondissement de Paris soutenir la lutte aux côtés de Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, et Martine Billard, coprésidente du Parti de Gauche. Pour ce pique-nique syndical à quelques encablures de Matignon, la CGT agroalimentaire (Fnaf CGT) avait rassemblé environ 200 militants venus de toute la France pour soutenir le mouvement.

Illustration - Fralib : un thé au goût amer

Un an de lutte

Depuis le 28 septembre 2010, les 182 ouvriers de la dernière usine française de production des thés Lipton et Éléphant se battent pour sauver leur emploi. Un premier « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) a été débouté par la justice en février 2011. Mais la direction du groupe a réitéré à la fin du mois d’août en licenciant 134 salariés sur 182.

Depuis le 3 septembre, l’usine est « occupée » jour et nuit par les ouvriers. « C’est une surveillance , insiste Omar Damani, ouvrier à Fralib et délégué CGT. Nous protégeons simplement notre outil de production pour éviter qu’on nous démantèle » .

Le 17 novembre dernier, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence invalide un second PSE et les reclassements proposés, en partie vers la Pologne avec des salaires de 420 euros mensuels… L’argumentaire de la direction, qui invoque des raisons économiques alors qu’elle a dégagé un chiffre d’affaires de 44 milliards d’euros en 2010, en augmentation de 11 % sur un an, n’a pas convaincu la justice. « En vérité, le groupe cherche à se débarrasser de la marque Éléphant et de toutes les sous-marques, pour concentrer ses investissements en publicité [sur Lipton], estime Henry Soler, ouvrier à Fralib et délégué du personnel. Nous n’avons plus bénéficié d’aucun investissement depuis 2003 alors qu’Unilever a acheté 30 machines pour sa production en Pologne. »

Illustration - Fralib : un thé au goût amer

Le tribunal a aussi reconnu que le thé l’Éléphant Fralib n’était plus « une entreprise souveraine ». Sa gestion, de l’approvisionnement à la vente des produits finis, est dictée par l’USCC, une entité qu’Unilever a installée en 2006… en Suisse, pour éviter de déclarer ses bénéfices sur le sol français.

Le plan de reprise des ouvriers

Les ouvriers demandent donc aujourd’hui la réintégration des employés licenciés le 30 août. 95 d’entre eux, sur 132, ont émis ce souhait. Ils veulent surtout être entendus dans le cadre d’une table ronde avec les ministres concernés et la direction du groupe.

« Nous sommes rentables à partir de 1000 tonnes produites , précise Henry Soler en citant une expertise financée par le Conseil générale des Bouches-du-Rhône. Or, nous en produisons 3000 par an. » Ils demandent donc à Unilever de leur abandonner la marque Éléphant, vieille de 120 ans, avec les machines et les terrains de l’usine Fralib. « Nous demandons que la direction réitère ce qu’elle a déjà fait il y a 10 ans avec le thé Compagnie Coloniale , explique Omar Damani, qui ne compte plus ses nuits passées dans l’usine depuis le 3 septembre.

« Vous savez , insiste ce père de quatre enfants, le PDG d’Unilever est payé 450 000 euros par mois. J’ai fait mon calcul, il m’a fallu 17 ans pour gagner la même somme. »

Société Travail
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