« Les ados originaux sous neuroleptiques »

Le pédopsychiatre Tristan
Garcia-Fons dénonce l’influence grandissante du DSM, une classification des maladies mentales venue des États-Unis.

Matthieu Balu  • 17 novembre 2011 abonné·es

Le DSM, pour Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, est un système de classification des troubles mentaux établi par l’association des psychiatres nord-américains, et qui est utilisé comme référence dominante par les praticiens et les étudiants en médecine du monde entier. Il est régulièrement « actualisé » , on en est au DSM IV et le V est attendu en 2013.

En France, certains psychiatres et psychologues s’émeuvent de ce classement qui fait de plus en plus usage de bible alors qu’il est très controversé. Aux yeux du pédopsychiatre et psychanalyste Tristan Garcia-Fons [^2], est largement influencé par l’industrie pharmaceutique.

**Pourquoi dénoncez-vous le DSM IV ?

Tristan Garcia-Fons :** Le DSM est progressivement devenu la référence unique et hégémonique en matière de classification des maladies mentales. Pour la recherche et l’épidémiologie, bien sûr, mais aussi pour la formation des professionnels, qu’ils soient psychiatres ou psychologues. Comme la classification internationale des maladies élaborée par l’OMS se calque sur le DSM, on se trouve pris dans une pensée unique qui appauvrit considérablement la réflexion sur la souffrance psychique et les soins.

La deuxième critique porte sur l’inflation, à chaque nouvelle version du DSM, du nombre de catégories de pathologies mentales, alors qu’elles sont extrêmement discutables dans leur définition même. Depuis la première version du DSM, en 1952, on est passé de cent à quatre cents catégories ! En ne prenant que les manifestations les plus superficielles, elles perdent de vue une approche clinique : le DSM V envisageait, par exemple, de faire de l’amertume une nouvelle catégorie… Ainsi, un sentiment ou un affect peut devenir une maladie !

Pourquoi cette puissance du DSM ?

Il est devenu la référence unique parce qu’il est simple d’emploi : il suffit de cocher des cases. Mais aussi du fait de la puissance de frappe de l’association des psychiatres nord-américains, soutenue par l’industrie pharmaceutique et les assurances privées. Pour eux, c’est pratique et surtout rentable de disposer de catégories qui correspondent à des traitements bien repérables et de médicaliser au maximum tout comportement. Les concepteurs du DSM touchent de l’argent de la part des groupes pharmaceutiques. C’est établi : ils sont tout simplement corrompus.
Mais le plus dangereux pour la santé publique réside dans l’apparition de catégories dites « à risque » , comme le « syndrome de risque psychotique » . Avec ce genre de diagnostic, on va mettre bon nombre d’adolescents jugés « originaux » sous traitement neuroleptique : vous imaginez le marché que cela représente pour les vendeurs de médicaments et le danger que courent les jeunes ?

La puissance publique a-t-elle intérêt à voir ce classement s’imposer ?

C’est très coûteux pour la nation, mais il y a une utilisation idéologique du DSM. On l’a vu avec le rapport Benisti de 2011, qui veut traquer les troubles de comportement des futurs délinquants dès la maternelle ! En faisant du traitement préventif avec des diagnostics à valeur prédictive, ce qui est antiscientifique, on crée surtout de la pathologie.

Lorsque l’Éducation nationale veut classer les enfants de maternelle en différentes catégories « à risque » , on change le regard porté sur eux. Le prétendu dépistage sous forme de tri et d’étiquetage précoces peut s’avérer plus nuisible que le supposé bénéfice attendu. On détourne les enseignants de leur métier et les enfants de leur vie d’écolier, et on oublie, pour ceux qui ont des difficultés, qu’une prise en charge au cas par cas existe, là où les politiques de réduction de postes ne l’ont pas encore démantelée.

[^2]: Pour en finir avec le carcan du DSM, Tristan Garcia-Fons, éditions Érès, 54 p., 7 euros.

Société
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