Une réforme mouvante, soumise aux marchés

Entrée en vigueur en juillet, la réforme des retraites n’a cessé d’être modifiée au fil des décrets d’application et sous la pression des milieux financiers.

Thierry Brun  • 4 novembre 2011 abonné·es

Décidément, on n’a pas fini de parler des retraites. À commencer par Nicolas Sarkozy, qui a lancé lors de sa récente intervention télévisée, non sans démagogie : « La réforme des retraites a protégé la France et a protégé les Français. » Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie, avait déjà assuré en juin 2010 que le gouvernement avait adressé « un message de sécurité » aux marchés. Il n’y a pas de raison de penser que le « triple A » est menacé, avait-elle affirmé. Et c’est ainsi, sous la férule des marchés financiers, que la réforme des retraites, qui avait pourtant mobilisé des millions de personnes contre elle pendant plusieurs mois, est entrée en vigueur le 1er juillet 2011, période peu propice aux manifestations…

En quelques mois, deux mesures majeures entament la pension des retraités. L’âge auquel la retraite est attribuée à taux plein (c’est-à-dire sans décote) passe progressivement de 65 à 67 ans. Et l’âge légal de départ à la retraite est repoussé de 60 à 62 ans. Conséquence pour la seule année 2011 : plus de 200 000 salariés n’ont pu partir à 60 ans. Avec ces mesures d’âge, le gouvernement espère rogner 5 milliards d’euros en 2012 sur l’ensemble des régimes de retraite.

Ce n’est pas tout, car la loi de novembre 2010 est sans cesse retouchée. La réforme censée régler le déficit de la retraite par répartition a été examinée à la loupe par les agences de notation, qui réclament de nouvelles mesures parce que la réforme ne prévoit pas le retour à l’équilibre financier promis d’ici à 2018. Oubliant que les sources de financement des retraites ont été réduites progressivement par des exonérations de cotisations sociales, la réforme a été construite sur des perspectives très optimistes (2,2 % de croissance et 6,7 % de chômage à partir de 2014).

De plus, le gouvernement s’est tourné vers l’emprunt aux marchés financiers pour combler le trou du régime par répartition et de celui des fonctionnaires. Une équation dangereuse en période de crise de la dette car, en 2018, sur les 42,3 milliards d’euros de ­déficit des régimes de retraites, seuls 18,6 seront financés par les mesures d’âge.

En clair : de nouvelles mesures sont à prévoir car un nouvel organisme de concertation, le Comité de pilotage des régimes de retraite, a été créé par la loi de 2010 et a programmé pour 2013 une « réflexion » sur le système des retraites.

Mais sans attendre 2013, réduction de la dette publique oblige, la baisse du niveau des pensions sera plus importante que prévu. Par exemple, les récents décrets d’application de la loi ont durci les conditions d’attribution du départ anticipé à la retraite pour les parents ayant élevé trois enfants. Un arrêté publié en septembre a modifié le calcul des cotisations de retraite des apprentis : ils perdront environ 30 % de leurs droits. Plus grave, le gouvernement a allongé le nombre de trimestres nécessaires pour l’obtention d’une retraite à taux plein par la génération 1955 (166 trimestres au lieu de 165), avant de régler en 2012 le sort de la génération suivante…

Cette régression sans fin des régimes par répartition a aussi une explication : l’objectif premier des réformes successives est de remplacer progressivement l’actuel régime par un système individuel par capitalisation, l’équivalent des fonds de pension anglo-saxons, omniprésents sur les marchés financiers.
Ainsi, la réforme de 2010 contient un volet important mais qui a été peu commenté, et qui accélère l’émergence d’un troisième « pilier » pour les retraites. Au régime général et à la retraite complémentaire obligatoire s’ajoute dorénavant la retraite « supplémentaire », dont la progression est spectaculaire avec les fonds d’épargne salariale (PEE, Perco) et les assurances-vie, appréciés pour leurs avantages fiscaux.

Les assurances-vie (dont l’encours dépasse les 1 350 milliards d’euros) peuvent désormais devenir un placement pour la retraite. De quoi mettre à mal les systèmes de retraite… et provoquer de nouvelles réformes.

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