1637 : la « Tulipomania », première bulle spéculative

Denis Sieffert  et  Thierry Brun  et  Jeanne Portal  • 22 décembre 2011 abonné·es

Huit porcs bien gras et quatre bœufs non moins généreux en viande et en graisse, un lit, un habillement complet, et encore douze moutons, deux barriques de vin, quatre tonneaux de bière, deux muids de blé et autant de seigle, plus quelques vétilles qui feront l’appoint pour un total de 2 500 florins, c’est-à-dire 25 700 de nos euros : voilà contre quoi s’échangeait, au plus fort de la spéculation sur la tulipe, le bulbe de la variété dite Vice-roi. Mère de toutes les folies financières, la crise de la tulipe qui sévit en Hollande entre 1634 et 1637 est la première bulle spéculative de l’histoire moderne.

La tulipe, merveille d’Orient, est importée dès 1593 par les marchands hollandais. La fleur déclenche dès son apparition sur le marché un véritable engouement. Devenue un objet de luxe, elle est convoitée par les bourgeois hollandais et les monarques. Ce n’est que quelque temps après, lorsque la fleur contracte un virus qui altère sa qualité, laissant apparaître sur ses pétales des sortes de flammes colorées, que l’engouement devient total. La « Tulipomania » commence.

Dès 1630, les horticulteurs rivalisent de talents pour trouver une multitude de variétés, rendant la tulipe encore plus prisée. La demande est telle que les cours, déjà très élevés, atteignent la démesure. La spéculation sur les bulbes devient rapidement ce qu’on appellerait aujourd’hui un phénomène de société. Tout le monde veut « de la tulipe ». En février 1637, le prix d’un simple oignon peut atteindre quinze fois le salaire annuel d’un artisan. Les Pays-Bas, qui sont à l’origine de nombreuses innovations financières, vendent ces bulbes comme des biens durables. Mais, en 1637, les vendeurs de tulipes ont de plus en plus de mal à trouver des acquéreurs pour ces fleurs qui atteignent des prix exorbitants.

Énigme éternelle du commerce spéculatif : il est difficile de savoir pourquoi, à un tel moment, la confiance disparaît, mais c’est bien ce qui s’est produit le 3 février 1637. Comme cela arrivera tant de fois par la suite pour d’autres objets de convoitise, des personnes méfiantes décident de vendre leurs titres. S’enclenche alors un effet domino qui entraîne la chute du prix des tulipes et une panique sur le marché. Face à ce marasme, les vendeurs refusent d’honorer leurs contrats, et les investisseurs prennent conscience de la démesure.

Le chaos est si grand que le gouvernement décide d’intervenir en proposant d’honorer les contrats à hauteur de 10 % de leur valeur nominale, mais la chute des cours est si vertigineuse que la promesse ne peut être tenue. Personne n’est épargné par le krach. Depuis, les économistes n’en finissent pas d’analyser cette aventure. Certains contestent la thèse d’une bulle spéculative. Il n’y aurait pas spéculation, mais une simple flambée du marché due à la faiblesse de l’offre dans un contexte de mode et d’engouement qui ne serait pas sans rapport avec une pause dans la guerre de Trente Ans. Un moment d’excès et d’insouciance après les restrictions.

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