1716-1720 La banqueroute de Law

Denis Sieffert  et  Thierry Brun  et  Jeanne Portal  • 22 décembre 2011 abonné·es

Des billets de banques cloués sur les portes des maisons comme une marque d’infamie. Cette image restera longtemps celle que l’on associe à la banqueroute du « système Law ». Commençons par le commencement, c’est-à-dire par une histoire d’amour. Nous sommes en avril 1694, et le jeune John Law de Lauriston a 23 ans. Il convoite follement les faveurs d’Elizabeth Villiers, future comtesse d’Orkney, également courtisée par un certain Edward Wilson.

L’affaire se termine en duel. Le jeune et brillant Écossais serait-il devenu banquier, proche de la cour de France, s’il n’avait tué son rival et n’avait été condamné à la potence ? C’est peu probable. Sa peine est certes commuée en prison, mais l’ambitieux choisit la fuite, et une vie d’errance et d’aventure à travers l’Europe. C’est à Amsterdam qu’il étudie la banque. À Paris, à Genève, à Venise, il propose un nouveau système qui repose sur la création de papier-monnaie. Il essuie beaucoup de refus. Ce qui ne l’empêche pas de faire fortune grâce au jeu. Mais, comme souvent, c’est la rencontre d’une idée et de l’histoire qui permettra l’avènement de son système.

De retour en France en 1715, l’année de la mort de Louis XIV, alors que le royaume est endetté par l’esprit guerrier et les goûts de luxe du Roi-Soleil, Law convainc le duc d’Orléans, alors intendant, d’expérimenter son système. Pour sortir de l’impasse, le duc accorde sa confiance au système économique conçu par ce jeune dandy débauché, véritable génie en mathématiques et amateur de jeux.

Le système économique que propose Law est une théorie développée quelques années plus tôt dans son livre Considérations sur le numéraire et le commerce (1705). « La monnaie, écrit-il notamment, est dans l’État ce que le sang est dans le corps humain : sans l’un, on ne saurait vivre ; sans l’autre, on ne saurait agir. » Le financier estime que la prospérité d’un pays est liée à l’abondance de monnaie en circulation. Il suggère alors la création d’une monnaie papier indépendante des arrivages d’or en provenance d’Amérique. En substituant la monnaie fiduciaire à la monnaie métallique, John Law pense relancer l’investissement et surtout enrayer la dette publique.

Pour mettre en œuvre son projet, l’homme crée en 1716 une banque privée, la Banque générale. Mais l’institution connaît un démarrage difficile. Le Régent décide alors d’apporter son soutien à John Law en devenant actionnaire de la banque puis en la nationalisant. Seule la connivence entre le financier et le politique permet le lancement de l’opération.

Mais l’ambition de Law va bien au-delà. Son idée est d’associer sa banque à une compagnie de commerce dont l’objectif ultime est le rachat de la dette publique. Il propose ainsi aux créanciers de devenir actionnaires, en billets, de la Compagnie d’Occident, qu’il crée en 1717, dotée du monopole de l’exploitation de la Louisiane. Sa mise en valeur est telle qu’elle permet de fonder en 1718 la Nouvelle-Orléans (nommée ainsi en l’honneur de Philippe d’Orléans). En France, prostituées et vagabonds sont embarqués pour peupler ce pays supposé de cocagne. Le roman de l’abbé Prévost, Manon Lescaut, rend compte de cet épisode.

En 1718, la Compagnie d’Occident annexe les autres compagnies de commerce, et Law acquiert une notoriété qui fait de lui le ­deuxième homme du Royaume. On s’arrache ses actions, qui passent rapidement de 500 livres à 18 000 livres. Mais le financier commet l’erreur de multiplier les émissions de billets alors que l’exploitation des colonies ne peut procurer d’importants bénéfices qu’à long terme. La rumeur circule que les billets pourraient bientôt ne plus rien valoir. Et on vient de toute part les échanger contre des espèces. Bientôt, c’est la panique et l’effondrement du système.

Harcelé par ceux qui se considèrent comme ses créanciers, John Law quitte la France. Après des années d’errance, il s’installe à Venise, où il mourra d’une pneumonie, et sans le sou, en 1729. Il aura en quelque sorte inventé l’inflation.

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