1907 : la première grande panique

Denis Sieffert  et  Thierry Brun  et  Jeanne Portal  • 22 décembre 2011 abonné·es

Le héros de cette histoire est un certain Fritz Augustus Heinze. Un fils d’immigrés venus d’Allemagne, qui a d’abord investi dans le cuivre mais s’est heurté à un concurrent plus puissant que lui : Rockefeller. Après avoir essuyé un important revers face à son rival, Heinze se lance dans une série d’opérations financières connues sous le nom de chain banking .

Il s’agit de prendre le contrôle de plusieurs banques en obtenant des prêts. Mais cette stratégie repose sur la crédibilité d’une institution bancaire, la United Copper Company, qui constitue le socle du système. C’est un peu le « trust » de l’édifice Heinze.

Or, cet aventurier de la finance tremble à l’idée que la United pourrait être attaquée par des spéculateurs. Sa crainte vire à la paranoïa. Il se convainc rapidement que des concurrents ont acheté des actions de la United dans le seul but de les revendre rapidement et massivement afin de faire s’effondrer le cours, et de les racheter ensuite à vil prix. Pour les mettre en échec, il rachète lui-même un grand nombre d’actions jusqu’à se persuader qu’il n’y a plus d’actions disponibles sur le marché. Les frères Heinze font ainsi grimper le titre. Les spéculateurs se ruent alors sur les actions pour pouvoir les revendre ensuite. Heinze s’était mépris : il n’y avait pas eu d’attaque contre la United, et un grand nombre d’actions restaient encore disponibles sur le marché. Et c’est lui, Heinze, qui a déclenché l’attaque qu’il voulait prévenir. Il a accompli à ses dépens ce que les sociologues appelleraient une prophétie autoréalisatrice.

La suite est plus banale. L’effondrement de la United produit un effet domino. Le nom de Heinze agit comme un repoussoir. Toutes les banques où la famille était présente sont victimes d’un mouvement massif de ventes. L’ami banquier des Heinze, Charles Morse, est touché par la même méfiance. La panique se rapproche d’institutions importantes comme la Knickerbocker Trust Company, dont le patron est un ami de Morse. L’effet domino est impossible à arrêter car les petites banques ont placé leurs réserves excédentaires dans des banques urbaines selon un système gigogne. Un contexte économique défavorable, incluant des inégalités abyssales et une grande misère, favorise la crise. S’ensuit une crise de liquidités. Les trusts des grands centres urbains tentent de récupérer du cash en vendant massivement des actions, précipitant ainsi la chute de la Bourse.

La crise de 1907 souligne à nouveau la part fondamentale de la psychologie dans la finance. La grande panique, c’est d’abord celle d’un seul homme, sans raison réelle : Fritz Augustus Heinze. Elle souligne aussi l’inter­dépendance des institutions, à laquelle le capitalisme tentera progressivement de remédier, notamment par la création de la Banque centrale des États-Unis, conséquence directe de la crise de 1907, et dont l’acte de naissance sera signé par le président Woodrow Wilson, le 23 décembre 1913. Fritz Augustus Heinze meurt dans la misère en 1914.

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