Les cybermilitants s’invitent en politique

Deux spécialistes de la culture Internet proposent une première analyse du mouvement « hacktiviste ».

Erwan Manac'h  • 22 décembre 2011 abonné·es

Au croisement de la cyberculture et de l’altermondialisme, un militantisme nouveau a vu le jour au milieu des années 2000 : l’« hacktivisme ». D’abord concentré contre les ennemis désignés du web libre et autogéré, il a pris peu à peu un contour politique sous la bannière des Anonymous. Ces « Indignés » du web, sans leader ni organisation, empruntent ponctuellement le même masque, pour un « piratage », une manifestation virtuelle (dite « attaque DDoS ») ou une action de soutien à Wikileaks ou au mouvement Occupy Wall Street.

Respectivement cofondateur et employé de l’agence de « communication responsable » Limite, Frédéric Bardeau et Nicolas Danet ont dressé une première analyse de ce mouvement encore sporadique. Pour ces spécialistes de la cyberculture, les Anonymous puisent leurs racines dans la contre-culture américaine qui émerge dans les années 1960. Selon eux, le mouvement hippie a nourri les premiers « geeks », ces passionnés d’informatique qui transgressaient le règlement des laboratoires d’informatique des universités pour mener leurs expériences dans les années 1970-1980. Cette génération de pionniers du hacking, à laquelle a notamment appartenu Steve Jobs, cofondateur d’Apple, n’a certes pas toujours été animée par des idéaux démocratiques ou anticapitalistes. Mais, avec les premiers faits d’armes des « hacktivistes » au début des années 2000, la cyberculture apparaît sous un visage plus subversif.
Les Anonymous naissent en 2006 sur le site de discussion 4chan.org, où le « mauvais esprit » et l’humour graveleux côtoient des tentatives d’action plus politiques. En 2008, leur première véritable attaque est menée contre l’Église de scientologie, car elle bafoue la liberté d’expression,
le principe intangible de 4chan.org.

L’anonymat est d’abord une protection contre d’éventuelles représailles, mais le masque est aussi un symbole de la cyberculture, à la fois garant de la liberté d’expression et de l’idéal démocratique selon lequel, derrière l’écran, les barrières sociales s’effondrent.

Selon Frédéric Bardeau et Nicolas Danet, le mouvement Anonymous reste un « mouvement malgré lui » , volatil et désorganisé, mais il pourrait nourrir un « altermondialisme numérique » , capable d’influencer les discours et l’agenda politiques. « Comme les Lumières étaient issues de l’invention de l’imprimerie et ont conduit à la Révolution française , s’interrogent-ils même, les Anonymous, venant d’un Internet ouvert et collaboratif, pourraient-ils être les fers de lance d’une révolution mondiale ? »

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