Subprimes : le krach d’une finance frauduleuse

Des institutions financières américaines ont créé depuis les années 2000 des produits dérivés reposant sur la tromperie.

Thierry Brun  • 22 décembre 2011 abonné·es

Nous sommes dans une Amérique « aux consommateurs surendettés [qui] s’est engouffrée, avec l’aide d’organismes de prêt complaisants et de banques d’investissement rapaces, dans une gigantesque bulle immobilière. Wall Street, qui est entraîné dans la chute, orchestrait cette “cavalerie” » , décrit Paul Jorion en 2009[^2].

Avant de devenir un chroniqueur réputé du Monde Économie, Paul Jorion fut recruté en 2005 par Countrywide, le principal établissement de crédit immobilier américain, qui sera par la suite au cœur de la crise des crédits hypothécaires. Dès 2005, « à une période où le capitalisme américain était triomphant » , ce sociologue avait anticipé ce que l’on nomme la « crise des subprimes » dans un ouvrage qui ne sera publié qu’en… 2007, quand la bulle immobilière éclate aux États-Unis.

À cette date, débute la plus importante crise financière mondiale depuis la Seconde Guerre mondiale. En réalité, les illusions financières ont commencé à se dissiper dès 2006, quand les prix de l’immobilier américain ont atteint leur niveau record. Une partie des crédits hypothécaires souscrits par les ménages à bas revenus (subprimes) ont vu leur taux d’intérêt fortement augmenter, ce qui a mis un grand nombre de foyers dans l’incapacité de refinancer des crédits en forte hausse. Spirale infernale : à mesure qu’augmente le nombre de familles en défaut de paiement, les difficultés s’aggravent pour les investisseurs en possession de produits financiers dérivés nommés CDO (Collateralized Debt Obligations, obligations adossées à des actifs comme des prêts bancaires). Ces CDO sont un modèle de création et de vente de produits dérivés par les groupes bancaires : ils réunissent des milliers de crédits dans des paquets d’obligations vendus à d’autres investisseurs, comme des fonds de pension ou des fonds d’assurance-vie, en empochant des commissions.

C’est cet empilement de crédits qui s’écroule à partir de 2007 : les banques sont de plus en plus exposées aux crédits hypothécaires défaillants et ne sont plus en mesure de vendre des CDO. La première banque américaine à tomber en faillite est Bear Stearns, en mars 2008. En septembre de la même année, c’est au tour de Lehman Brothers de s’effondrer, créant le début d’une vague de panique financière mondiale. Elle aura pour conséquence un sauvetage financier estimé à 7 800 milliards de dollars en 2010, rien qu’aux États-Unis. Et une hausse vertigineuse de la dette publique, aux États-Unis comme dans les pays de l’Union européenne qui ont sauvé leurs groupes bancaires.

Dans cette histoire hors normes, tous les maillons de la chaîne de crédit ont un élément commun : la fraude. Depuis la souscription des crédits hypothécaires par les familles en passant par l’élaboration des CDO avec la bénédiction des agences de notation, jusqu’à la vente à des investisseurs institutionnels, « toutes les étapes du processus sont caractérisées par l’absence des documents requis ou leur falsification, par la tromperie systématique des clients par les institutions financières[^3] ».

Dès 2004, le FBI avait donné l’alerte sur la nature endémique de la fraude dans le marché des crédits hypothécaires, mais aucune autorité compétente n’avait entrepris de réguler ces activités. Depuis, les pratiques et le mode opératoire des institutions financières n’ont pas changé, à l’inverse de ce qui s’est passé lors de la Grande Dépression.

[^2]: La Crise du capitalisme américain, Paul Jorion, Éditions du Croquant, 2009.

[^3]: La Dette ou la vie, sous la direction de Damien Millet et d’Éric Toussaint, éditions Aden-CADTM, 2011.

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