Syndicalisme, Un droit foulé aux pieds

La Fondation Copernic révèle l’augmentation des discriminations syndicales et la faiblesse des moyens juridiques pour y faire face.

Thierry Brun  • 22 décembre 2011 abonné·es

Être syndicaliste chez un sous-traitant du nucléaire n’est pas une sinécure. Philippe Billard, travailleur de l’industrie nucléaire et « irradié » , après onze ans passés chez Endel, filiale de GDF-Suez, confie qu’il est actuellement « au placard depuis janvier 2009 et victime de discrimination salariale » sur son lieu de travail, à la centrale nucléaire de Paluel, en Seine-Maritime. Ce délégué du personnel, syndiqué à la CGT, est engagé depuis plus de dix ans dans une guerre de procédure pour discrimination syndicale, parce qu’il a voulu faire respecter une loi protégeant les salariés lors d’une reprise de contrat par un sous-traitant.

Ce cas est symptomatique de l’acharnement des directions d’entreprise pour contrer l’action des syndicats. « Certes, les détenteurs d’un mandat bénéficient d’une protection, explique Laurent Garrouste, juriste du travail. Mais elle n’empêche pas tous les licenciements, ni de nombreux désagréments pouvant aller jusqu’au harcèlement, et qu’il est difficile de mettre en échec. Surtout, de nombreux salariés syndiqués sans mandat sont victimes de discrimination, mais cela reste difficile à prouver. Et rien n’est plus facile pour un employeur que de licencier un salarié non protégé. »

L’employeur de Philippe Billard a vu d’un mauvais œil l’action de ce dernier autour des conditions de travail des sous-traitants du nucléaire, fortement médiatisée depuis. « La direction n’appréciait pas que j’aille chercher des réponses en dehors de l’entreprise, même si l’inspecteur du travail me donnait raison. L’entreprise a alors commencé à ne plus me verser de primes. » Pour un salaire de 1 570 euros brut, avec une famille à charge, c’est un coup dur pour le syndicaliste, mais ce n’est pas le seul : « L’entreprise ne m’a accordé aucune augmentation individuelle durant onze ans. » Ce travailleur a été « été durement touché financièrement ». D’abord par les discriminations dont il a été victime, « mais surtout par le coût colossal que représentent des années de procédure. J’ai pourtant gagné dans la plupart de mes procès. Mais l’entreprise est condamnée à des sommes dérisoires ! » Le code du travail prévoit en effet une sanction pénale faible en cas de discrimination syndicale : au maximum 3 750 euros d’amende et, en cas de récidive, un an d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende. En réalité, selon Laurent Garrouste, « les condamnations au pénal sont extrêmement rares » .

Les faibles risques encourus par les directions d’entreprise leur permettent donc de s’attaquer au syndicalisme, cette liberté ­fondamentale figurant dans la Constitution. Ces attaques, fort anciennes, connaissent actuellement un regain. Ainsi, parmi les raisons de la non-adhésion à un syndicat, « un nombre important de salariés (36 %) invoquent la crainte de représailles de la part de leur employeur », révélait un sondage de TNS-Sofres publié en 2005 et cité par la Fondation Copernic dans un livre consacré à la répression et à la discrimination syndicales [^2].

Amandine a fait les frais de ces représailles patronales quand elle a participé à la création du syndicat SUD en 2006. Salariée «  appréciée et reconnue   » depuis 1998, travaillant dans un des grands magasins parisiens de Virgin Megastore, cette syndicaliste a été brutalement mise à pied par sa direction régionale. En « prenant prétexte d’une altercation avec un client, l’employeur a enclenché dans la foulée une procédure de licenciement pour faute grave » . Dès le lendemain de cette mise à pied, de nombreux collègues de travail se mettent en grève pour la soutenir, mais, « quelques semaines plus tard, je recevais ma lettre de licenciement… » .

Une longue procédure judiciaire s’achève par la condamnation de Virgin et la réintégration d’Amandine fin 2007. « Malgré les pertes financières et le climat délétère entretenu par les mobilisations, la direction a tenu jusqu’au jugement d’appel. » Pour Amandine, « la direction a échoué dans sa volonté d’empêcher l’implantation de SUD, qui aujourd’hui est représentatif et dispose d’une section active » . Mais la salariée a payé chèrement son action syndicale en quittant Virgin.

Les cas d’Amandine et de Philippe sont emblématiques « de l’ensemble des pratiques de discrimination allant jusqu’au licenciement. Lorsque les directions d’entreprise perdent sur un terrain, elles en choisissent un autre, menant une véritable guérilla », explique la Fondation Copernic. « D’un côté, la jurisprudence interdit la discrimination syndicale, et de l’autre, les jugements sont très encourageants devant les tribunaux, ajoute Laurent Garrouste. Mais ces points positifs ne doivent pas masquer une réalité massive : la discrimination syndicale est une pratique constante dans de très nombreuses entreprises de toute taille. »

Les stratégies de marginalisation, de répression et d’intimidation se développent tant dans les entreprises privées que publiques, surtout là où l’action syndicale avait obtenu une certaine légitimité. Et dans les grandes entreprises publiques ou récemment privatisées, comme la SNCF et GDF-Suez, « il est frappant de voir que ces entreprises n’hésitent pas à licencier des militants actifs pour des motifs fallacieux, pour “faire des exemples” » .

Ces pratiques discriminatoires, souvent impunies, concernent des milliers de salariés, supportant petits harcèlements quotidiens, retards de carrière, licenciement, procès… L’élément le plus visible est le nombre d’élus et de mandatés licenciés chaque année, dont le licenciement fait l’objet d’une procédure spéciale. Recensées par les inspecteurs du travail, les estimations montrent une augmentation importante des ­licenciements, ­ruptures conventionnelles ou transferts de salariés protégés. Leur nombre est passé d’environ 15 000 en 2004 à plus de 25 000 en 2009, sans qu’il soit possible de distinguer la nature de ces décisions et leur mise en application effective.
Les syndicats s’inquiètent de ce phénomène depuis qu’un rapport de recherche[^3] a mis en évidence une crise des vocations résultant « de l’incertitude professionnelle qui accompagne l’acceptation d’un mandat » . Dans le même rapport, une déléguée CFDT évoque le cas d’adhérents qui renoncent à un mandat « par crainte de licenciement » . Un représentant de la CFTC parle d’un management de plus en plus « coercitif » et de directions d’entreprise qui discréditent les syndicats en les accusant de bénéficier d’avantages.

« Les sources statistiques sont aujourd’hui insuffisantes » pour rendre compte de faits « largement occultés par les employeurs comme par les gouvernants » , pointe la Fondation Copernic. Celle-ci veut jeter les bases d’un « observatoire de la répression et de la discrimination syndicale » , et « contrer l’offensive patronale » contre les libertés syndicales.

[^2]: Répression et discrimination syndicales, Notes de la Fondation Copernic, éditions Syllepse, 2011.

[^3]: La loi du 20 août 2008 et ses implications sur les pratiques syndicales en entreprise, Sophie Béroud et Karel Yon, rapport pour la Dares, ministère du Travail, 2011

Société Travail
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